Rêvé que je traversais la ville de nuit. Des allers-retours dehors, sans manteau, avec la sensation d’être comme nue — mais libre, rapide, transparente — déplaçant des objets d’une maison à l’autre. Recours à la nuit sera publié aux éditions Nous courant 2026. C'est une belle perspective, une joie qui dit quelque chose comme : ici je peux souffler. Mais je persiste dans mes œuvres au noir, emballant puis cousant point par point, là, comme une sorte de broderie au fil noir, quelques galets. C’est un travail lent mais sans commune mesure avec le temps géologique dont il semble toujours que je cherche un équivalent. Pierres prises dans un fourreau, un écrin, une gaine. Pierres plus ou moins lourdes dans le creux de la main. Mais comme si seul le geste de coudre, ou celui de soupeser, comptaient. Car je ne sais que faire de ces objets. Coudre. Est-ce un geste d'attente ? J'attends le moment où je vais pressentir un nouveau (possible) chantier d'écriture. L'attente est un ressac. J’arrive au bout des Lettres-océan. Est-ce fini, pas fini ? Est-il temps de passer à autre chose ? Il y a dans ces poèmes une tension particulière entre le terrestre et le maritime, entre l'idée de la racine et celle du flux. "Juste mesure est la distance qui se déplace lentement", ai-je écris. Dans le livre dirigé par Barbara Formis, Gestes à l’œuvre (2008), Georges Didi-Huberman note : « La terre se meut sous les pas du danseur parce que les racines errent, parce que la profondeur n’est ni un site ni un trésor, mais un mouvement. » Il poursuit : « Je pense à Nijinski, bien sûr. » Il y a, derrière le bureau, tout près de mon épaule gauche, une photo de Nijinski en faune, assis sur un talon, les deux mains pointées vers le sol. Je pensais déjà à lui en écrivant le danseur de Ni enfant ni rossignol. C'est une image qui ne m’a pas quittée depuis 20 ans et que j’ai transportée, oui, d’une maison à l’autre.