M'approprier des routes, des distances, un ciel, une campagne, m'y inscrire littéralement. Embarquer corps, texte et paysage dans un même mouvement, il n'y a de vrai que cette tentative.
Le 4 mai 2022, une rencontre est prévue au Lieu Unique à Nantes, à l'invitation de la Maison de la Poésie dans le cycle "De la poésie comme écologie", avec l'anthropologue Barbara Glowczewski.
Écrire vers les ZAD – Catherine Lesaffre et Virginie Gautier
20 juin 2019 de 15h à 17h, site de Censier
Virginie Gautier et Catherine Lesaffre écrivent « vers la zone ». Elles ont l’une et l’autre engagé une forme de nomadisme de l’écriture en rapport avec les zones interstitielles de la société, et notamment les ZAD. Nous irons dans cette séance à la rencontre de deux processus d’écriture de création, initiés à l’Université de Cergy dans le cadre du master de création littéraire, qui se sont poursuivis jusqu’à aujourd’hui. Que fait la zone à l’écriture ? Comment l’écriture de création, en tant qu’expérience sensible, avec son indétermination et son caractère d’errance mais aussi l’orientation qui guide sa recherche, est-elle en résonance avec la zone ? L’écriture peut-elle être une approche éco-poétique de la zone ?
près une longue conversation avec une jeune fille parcourant le monde à dos de mules, Catherine Lesaffre s’apprête à une rencontre avec un jeune homme vivant en camion et se déplaçant de lieux en lieux repérés avec soin. Peut-être conclura-t-elle cette pérégrination (moins les récits qui en découlent) par quelques faiseurs de cabanes dans les arbres, souvent menacées de démolition. Ces jeunes gens ont un point commun : celui d’agir en recommencement sans plus attendre. Ces expériences ouvertes, qu’il s’agit pour elle de documenter, participent sans le savoir à l’extension d’un monde devenu difficilement habitable. Toute forme de vie inventive porte en elle le germe d’une avancée politique, de fait, au travers d’engagements dont il leur faut décider continument dans une continuité bravant, par intime conviction, l’uniformisation imposée.
Dans le cadre du volet littéraire de sa thèse qui questionne le déplacement comme processus de création, Virginie Gautier a mis en place, en avril 2017, un dispositif spatial d’écriture, appelé Marchécrire qui a consisté à rejoindre à pied, depuis son domicile, la ZAD de Notre-Dame des landes. Il ne s’agissait pas seulement de prendre pour objet d’écriture la Zone À Défendre, mais d’en faire une visée à même de mettre en perspective le territoire rural et périurbain traversé. Le texte achevé, Vers les terres vagues, est le récit de ce « voyage », au triple sens d’une rêverie, d’une enquête et d’un déplacement. Il est issu de plusieurs temporalités d’écriture, dont un ensemble de notations in situ et un corpus de ressources documentaires liées aussi bien à l’histoire de la ZAD qu’à des questionnements plus géographiques.
Le 15 avril 2017 Arnaud de la Cotte venait me rejoindre pour mon arrivée sur la zad. J'avais marché 13 jours, seule. J'étais dans l'intensité de cette expérience. Ce jour-là lui a traversé la Loire, cette frontière liquide. Bac, grand ciel, déjà un voyage. Aller-retour. Entre les deux un moment hors du quotidien. Caméra en main, il en a retenu quelques bribes, montées. Ce qui fait son "Journal filmé" numéro 67. Merci à lui.
En contrechamp voici un fragment du texte écrit à partir de mes prises de notes enregistrées en marchant, #Marchécrire. Mon entrée dans la zad. Le moment qui précède,
"La route en fond sonore, diminuendo. Le bruit de petit marteau d’un pic contre un tronc d’arbre. Mon corps tranquille en apparence. Une acuité particulière. L’intensité est à l’intérieur. Il faut bien choisir son carrefour (pas la route, le chemin, l’ancien chemin de Suez). Tourner ici, entre les deux maisons à chien dont une a hissé très haut un drapeau bleu, blanc, rouge. Marcher n’est pas jouer. Trembler un peu entre Charybde et Scylla. Pénétrer plus profondément. La campagne se réveille. Semble habitée pour la première fois (je ne vois rien, j’entends). J’entends du bruit à travers les arbres. Tape au loin sur du métal. Tronçonne à droite. La campagne est travaillée. Ralentis, c’est la lande de Rohanne, une forêt sauvage aux arbres très fins. Je ne vois rien j’entends. Un coq. Les animaux rendent le lieu habitable. Le chemin est une ligne parfaitement droite, large et poussiéreuse. Devant moi des portes sont ouvertes. Ce sont deux parois de tôle, des pneus, des planches, des restes de barricades. Un fossé de chaque côté. Entre, c’est dedans ou dehors. Maintenant c’est dedans. Avance jusqu’au bout. Prends à gauche vers le phare, ce phare c’est la bibliothèque. Ralentis, tu y es presque. Ça n’est pas facile un aboutissement."
J 14 — Un mauvais geste. Bloquage du dos le lendemain de mon arrivée, chaque pas sur le sol est devenu douloureux. Je regarde les gens circuler, plus aucune évidence de mon côté. Pourtant, il y a devant la maison où je dors un petit banc au soleil, bien placé, au-dessus duquel les oiseaux se cherchent et se bagarrent. Je pourrais y lire, m'y poser, regarder tomber les pétales de camélias. Le mantra de l'étiquette de mon sachet de thé tente une consolation : vous êtes illimité. Mais je ne peux pas me résoudre à être tenue hors de ce va-et-vient d'hirondelles, d'insectes, de chiens, des habitants, hors cette activité de ruche. Quelque chose raconte que ça y est, que je reviendrai une autre fois, qu'il faut rentrer.
J13 L'approche est délicate, c'est dedans ou dehors, pour entrer il faut bien choisir son carrefour. On entend le bruit de petit marteau d'un pic contre un arbre, plus tard une tronçonneuse, un coq, puis on y est. On pose son sac, on épluche des légumes, à un moment on vous sert un café-pot de fleurs. Ça n'est pas si facile un aboutissement. #Marchécrire
J12 — Au levé du jour le soleil gomme le pont je quitte la ville en train / parcours dénivelé sur une arête rocheuse, usine thermique à l'horizon, il faut passer plusieurs fois sous les grésillements des lignes haute-tension / fin de journée : de dépit supplié en anglais le énième chien qui aboyait à mon passage, il a arrêté tout de suite / demain j'arrive. #Marchécrire
J11 — (habiter, habiter) Contrairement aux maisons de bourgs contenues derrière leurs façades, dans les lotissements les façons d'habiter s'exposent. Jardins où le vide (un désert) vaut souvent pour un ordre, où la symétrie est la seule organisation possible. Rarement un laissé-faire, un fouillis salvateur. #Marchécrire
J10 — Croisé un homme qui s'intéresse à mon trajet et me souhaite bien du bonheur - c'est exactement ça. Flotter et faire de ce flottement une solidité. Bouger et faire de ce mouvement une façon de demeurer. #Marchécrire
J9 — Chemin de terre, les pierres lissées par nos suites de pas. Chemin sur les épines, entre les troncs de pins et les chants d'oiseaux. J'associe les cordes à nœud des racines que j'enjambe et les muscles qui se nouent dans mon mollet gauche. Chemin moelleux au milieu des chaumes, que je tutoie. Maquis d'ombelles, je me retourne pour te voir sous toutes les coutures et ralentir le temps de te dépasser. À la fin de la journée j'en ai eu tant, j'en ai eu trop et pas assez, au moment de fermer les yeux, j'aspire encore à retracer tes lignes fines. #Marchécrire
J8 — Matinée difficile sur fond sonore routier, je ne trouve pas le marquage du sentier, je fais plusieurs fois demi-tour. Dans le chemin des bois, enfin, le sentiment d'être seule, tranquille. Ralentir, prendre son temps, manger sur des aiguilles de pins, croiser une biche (la faire sursauter). Une biche pour récompenser tes détours, il dit. Il ajoute, ça se mérite une biche. Alors oui, puisqu'on porte cette attention, puisque tout ce qui apparait devient un évènement, le hasard aussi, c'est tentant de l'interpréter. #Marchécrire
J7 — Faire une vraie pause au milieu du voyage avant de repartir, de replonger dans l'itinérance. Avancer au jour le jour, la solitude première, l'effort physique, les soirées partagées - à chaque fin d'étape des accueils formidables. #Marchécrire
J6 — Spectacle pour tous, ce petit piéton en sac à dos qui marche à rebrousse poil entre la route et le fossé. Les chiens n'aboient pas contre les vélos qui sont pour eux des véhicules mais contre les piétons qui sont des personnes. Sur le bas côté je trouve un petit Cadere (André, artiste marcheur), le plante au pied d'une pancarte, oublie de le photographier pour la série “sculpture spontanée”, hésite à faire demi tour, abandonne : trop chaud, trop tard, trop fatiguée, trop de voitures. #Marchécrire
J5 — Stellaires, pissenlits, bouteille d'eau, bouteille en verre, carton de bière, canette de Heineken, une autre, une troisième, un groupe d'orchis de pentecôte, canette de Kronenbourg, une bouteille de cristalline, papier de chocolat Milka, chuintement de lézards dans les feuilles, paquet de Fumer Tue, un blister transparent, les marguerites sont en boutons, sac “pain de mie complet” : entrée de bourg. #Marchécrire
J4 — Pays antique où il a plu des boulets, des rondes-bosses, des noyaux, des coquilles, des rotules de granit. Pourtant cet affleurement m'est doux, je voudrais m'allonger dessus et n'en plus bouger. #Marchécrire
J3 — Marcher longtemps vers une cloche, un bruit de marteau sur du métal, en s'enfonçant dans l'anse (trois bateaux couchés / un héron) puis virer en épingle à cheveux pour se sortir de là par l'autre rive. #Marchécrire
J2 — Passer devant les grandes demeures fermées en suivant l’ourlet du sentier côtier plusieurs fois replié sur lui-même. La marche est un mouvement déroulé au ralenti. #Marchécrire
J1. Pendant/après, quand la route fait un coude ça donne une bonne idée de l’équation distance-durée. L'échelle du paysage mesurée à la largeur de mon pas. Dernière heure du premier jour, le monde se reprend dans les intervalles entre les passages des voitures. Mon corps, lui, est rassemblé dans l'articulation jambes-hanches. #Marchécrire