4.18.2014

Un autre nom pour métamorphose (des femmes des paysages)

Parlons dessins, retournons aux carnets de Claude Monet, à ce trait souple, ondulant, multiplié 
(qui ne se donne pas d'un coup). À ce trait débordé.
Le tracé d'une chose mouvante.




















De Monet à Paul-Armand Gette, en passant par Rodin - c'est un pas que je fais grâce à Arnaud de la Cotte, directeur artistique de l'association Esprit du Lieu
Sur le site du musée Rodin, une bande sonore où Paul-Armand Gette parle de son exposition ("Artémis et ses nymphes"), et fait parler Rodin : je prends sur le vif des mouvements que j'observe, mais ce n'est jamais moi qui les impose — puis Rilke, des lignes caressantes de Rodin.
Et c'est vrai qu'on a envie de les multiplier ici, les dessins de Rodin, tant ils sont beaux, et heureux.


Ceux de Paul-Armand Gette ont une similitude de traits. Glissements, débordements, dit-il, c'est une façon d'avancer dans le travail. 
N'est-ce pas un autre nom pour métamorphose ? 
Des nymphéas aux nymphes, d'Achtéon au cerf, du peintre au modèle, d'un médium à un autre, etc.









Cette ligne caressante du dessin c'est une volonté de toucher, de se laisser envahir. De rapprocher l'optique de l'haptique. 
On ne se fie pas qu'à ses yeux pour voir.
En 2003 j'ai réalisé une performance filmée, en me déplaçant dans la forêt les yeux fermés, pour sentir, plutôt que voir, cet espace rythmé par les arbres. La froideur de leur ombre avant le contact, pour me mêler au corps des choses.

















J'écris métamorphose
En pensant à tout ce qui se transforme, s'échange. A la question du corps et à celle du paysage, la façon dont ces questions se croisent, se rencontrent dans le dessin, puis dans l'écriture. J'y travaille, c'est à dire, je me rends disponible à cette question. Je suis à l'écoute de ce qu'on me dit (cette fois c'est Paul-Armand Gette qui parle de sa pratique artistique, et c'est moi qui reprends à mon compte ses paroles).

Je ne voudrais pas finir sans évoquer ce qui se trame entre lieux et personnages, comme source d'écriture, de démultiplication même de l'écriture, dans les livres d'Anne Savelli - parlant corps et décors. Finir précisement sur la figure de Dita Kepler (un avatar d'Anne) féminine, hautement littéraire, qui nourrit un texte forcément in progress, in-fini. Changeant de peau, de lieu, ayant don de virtualité (n'est-ce pas un autre nom pour métamorphose ?) 
Dita kepler se prête, évidemment, à toutes sortes de jeux, dont celui, sur le "Journal du silence/Journal de la lutte", programmé par Joachim Séné. Belle mise en espace, à lire, toucher, voir, sur Remue.net.


Dita Kepler, de Twitter à remue.net




4.17.2014

Apprendre à tanguer (surtout pas des histoires)

A l’issue de la projection du film de Vivianne Perelmuter « Vertige des possibles », Vincent Dieutre lit ces quelques phrases d’Yves Citton.

Pas des histoires, surtout pas des histoires ! (…) un bout de matière, un bloc de sensations qui ait la consistance d’une chose. Quelque chose qui ne soit pas seulement imaginaire. Quelque chose de vrai. (…) Un geste, un acte, un mouvement, un petit pan de mur sur lequel on ferait un plan fixe, sans musique, ou alors seulement 7 minutes 27 secondes après le début du plan, quelques notes rauques et profondes d’une clarinette basse (…) qu’on y sente le grain de la réalité, l’hésitation d’une fragilité en train d’improviser sa survie ‒ bref, encore une fois, tout sauf une fiction. (…) Nous avons une soif infinie de contre-fictions vraies.

Elles parlent de nous, de ce que nous tentons, de nos tentatives. Aller-vers, des essais pour viser au plus près. De quoi, du monde ? de nos désirs ? De nos désirs du monde ? Avec  errements. Elles parlent d’art, de cinéma, de littérature. Nos rattrapages.
















J’ai pris quelques notes, parce que les mots redéployaient ce que j’avais perçu dans le film.
Vivianne Perelmuter répète : apprendre à tanguer. Et on entend ça comme un programme. Apprendre à tanguer. Eprouver ensemble la question du rêve et de la réalité. Le projet narratif ET la réalité documentaire. Le rêve et le document. Elle dit : Accélérer, décélerer, tanguer : un mouvement. Elle dit : ne pas éponger l’opacité du personnage – le personnage c’est une femme. On se déplace avec elle dans le vertige des possibles, un labyrinthe.

Un labyrinthe ?

Il y a un spectateur qui demande la parole pour dire que le cinéma, ça devrait toujours être ça. Qu’il y a quelque chose de magique quand on ne sait pas où l’on va, que les propositions sont ainsi, inattendues. On accepte de la suivre, cette femme. On fait avec le vertige. Magie, vertige, labyrinthe.

J’ai noté : métamorphoses.

Car ce qui m’intéresse, c’est le passage. L’articulation du rêve et du réel, du désir et du réel. Comme si l'on passait d'un obscurcissement, d'un brouillard, à une netteté. D'une manière brute, à une matière ciselée. Comment mettre ensemble ces deux états distincts ? Travailler l'un et l'autre, et leur circulation ? Jeu, charnière, emboîtement. Cut, fondu. Glissement. Collage.

Dédoublements, superpositions des corps chez Rodin. Juxtaposition de moulages en plâtre. "Le Rêve", je scanne cette carte postale qui voyage avec moi depuis des années. 


















Apprendre à tanguer, en dessous j’ai inscrit : titre possible.
Il me ramène à mes dérives en Lignes de fuiteEt futurs déplacements vers les Sols Mouvants du lac de Grand-Lieu, où je serai en résidence avec l'association Esprit du Lieu, l'année prochaine (automne 2014/printemps 2015).

4.14.2014

Une ville par tâtonnements (détour)

Claude Monet, nymphéas (carnets)

Quelque chose qui est le visible et son tourment.

"Songez que j'étais bien parti, emballé comme jamais et comptant bien arriver à quelque chose de mieux... avec cela ma pauvre vue qui me fait tout voir dans un brouillard complet. C'est quand même bien beau et c'est cela que j'aurais voulu rendre." L'altération de la vue délivrant enfin Monet du souci d'être exact." (Marianne Alphant "Monet, une vie dans le paysage")

Si c'est un voyage.
Que ce soit un trajet, pas forcément une arrivée.

Quelque chose dans l'écriture est attaché à cette idée de myopie. On ne sait pas toujours où l'on va, ce qu'on va trouver. Ça n'est pas un savoir, c'est une expérience. On regarde de très près. On ne se fie pas qu'à ses yeux pour voir. On approche aussi les mains. On se tient dans ce désir, oubliant l'idée d'un objet bien tourné, d'un sujet. Quel sujet ? C'est plutôt un motif, on est pris dans ses filets, on s'en échappe, on y retourne. Chose parmi les choses, mais partie prenante.

Quand je dessine, j'enlève mes lunettes pour regarder. Pour voir. Si ça tient dans ce flou, ce flottement. Si ça bouge.

Si c'est un aboutissement.
Qu'il ne soit pas trop saisi, ni délimité.

William Turner, the line of the sea (carnets)


Dans mon texte, c'est un paysage, une ville.
On a parfois besoin de fermer les yeux pour la voir.
Elle est faite de piétinements, d'allers et de retours. De constellations qui s'éloignent les unes des autres et se resserrent. Qui bougent. Elle hésite, se déplace, touche à tout. Elle est au bord de la lumière et au bord de l'obscurité.

C'est une ville par tâtonnements.

Il y est question de trajets. De frontières. De mers à traverser. De dérives.
Il y est question du voir et de son obscurcissement.
Cela se termine par un départ :

Même si c'est un jour de tempête on y va quand-même. On marche dedans. On verra pas. 
On verra bien.

























Mise en route prochaine du chantier d'édition de ce texte chez Publie.net, avec images : plans, cartes, croquis, relevés, issus des Creative Commons (dont ce magnifique croquis de Turner, celui de Monet n'étant trouvable que dans le livre de Marianne Alphant).

4.06.2014

Territoire des possibles




Exposition des Cartes en calque de Mathilde Roux, à la médiathèque Marguerite Audoux, du 1er au 30 avril 2014.

Un tel titre ne pouvait nous laisser de marbre.
Des textes sont venus hanter ses Territoires, samedi 5 avril.

Celui de Pierre Ménard, sur Liminaire
Celui d'Isabelle Pariente-Butterlin, aux bords des mondes
Celui d'Emmanuel Delabrancheà peine perdue
Le mien, dont voici le début ci-dessous

Merci à Mathilde pour cette invitation.









Expédition dans les Territoires
(extrait)
    
Jour 1
Territoire Un, notre point de départ. Parcouru quelques rues. Maisons basses. Rares autochtones. Leurs vêtements, couleur sable ou papier, se fondent dans le paysage. S’il n’y avait partout cette poussière, on croirait une banquise. Or c’est un banc de sable sédimenté, solide. Vent nul, érosion infime.

Jour 2
Fait provision de nourriture et d’outils. Les tranchées Diagonales coupent le cadastre en deux. Echoppes et ateliers littéralement ouverts, sectionnés.
Chaque district étant conçu sur le modèle du labyrinthe, en sortir est plus ou moins difficile (peu prévu). Se fier aux lignes sinueuses, aux chemins des troupeaux, aux cours d’eau.

Jour 3
Hors la ville, vue rasante jusqu’à l’horizon. Mais un horizon collé au ciel, indistinct. L’étendue tout court.

Jour 4
Départ déconseillé. Air fumeux à opaque.
En dehors des zones habitées : s’encorder, avancer avec les pics à sonder.

Jour 5
Attente du départ. Repérage des côtes depuis la Diagonale extérieure.

Jour 6
Quittons zone urbaine. Direction nord, vers mer frontière.
Air fluide. Odeur : feu de bois, fleur de citronnier. Interprétation climatique favorable.
Notre marche n'est pas comparable à un déplacement sur le Continent Connu. Vent portant, grande légèreté. Aucune sensation de fatigue.
Ramassé quelques pierres de sable, pour étude - en forme d’os, d’oiseau, de figurine.

 (...)