S'arrêter d'écrire et aller chercher du côté de Pialat. Ce que cet homme a à dire, sa façon de le dire, sans concession - un matériau brut dont la surface est justement la force, une présence élémentaire.
T'as changé hein, depuis quelques semaines, je t'observe
J'ai changé, en quoi j'ai changé ?
Je sais pas, tu souris plus beaucoup
Moi ?
Qu'est ce qu'il y a qui ne va pas ?
Y'a rien
Ben je sais pas tu souriais beaucoup plus qu'ça dans le temps, et quand je dis dans le temps, c'était y'a un mois, deux mois* (dialogue Pialat/Bonnaire dans "À nos amours")
À une période j'ai revu tous les films de Pialat, ça m'a bouleversé.
T'as changé hein, depuis quelques semaines, je t'observe
J'ai changé, en quoi j'ai changé ?
Je sais pas, tu souris plus beaucoup
Moi ?
Qu'est ce qu'il y a qui ne va pas ?
Y'a rien
Ben je sais pas tu souriais beaucoup plus qu'ça dans le temps, et quand je dis dans le temps, c'était y'a un mois, deux mois* (dialogue Pialat/Bonnaire dans "À nos amours")
À une période j'ai revu tous les films de Pialat, ça m'a bouleversé.
S'arrêter d'écrire donc et revoir ce court métrage, "L'amour existe", enfouis dans la mémoire - à la façon dont quelque chose fait déjà partie de soi-même, est devenu son propre souvenir. Cet objet inappréhendable, que l'on part rechercher quand-même. Qui fait le décalage constant, les anachronismes, les chevauchements.
Début de film : roulements, passagers, files et foules. Coupure brutale du bruit dans lequel on s'était installés confortablement. Présence d'une voix presque trop "off" :
Longtemps j'ai habité la banlieue, mon premier souvenir est un souvenir de banlieue. Aux confins de ma mémoire, un train de banlieue passe, comme dans un film.
La mémoire et les films sont remplis d'objets qu'on ne pourra plus appréhender.
Longtemps j'ai habité la banlieue, mon premier souvenir est un souvenir de banlieue. Aux confins de ma mémoire, un train de banlieue passe, comme dans un film.
La mémoire et les films sont remplis d'objets qu'on ne pourra plus appréhender.
Ma première maison était une maison de banlieue, on disait à l'époque : un quartier. À une extrémité construite de la ville, près des cités d'urgence, des jardins ouvriers. Les rocades à peine dessinées. Une maison mitoyenne, trois portes donnant directement sur le boulevard. Une maison de fonction. Bitume, poussière, la terre qui volait les jours de vent, comme si tout restait à construire. Une sorte de far west, d'éloignement. L'école aux grilles de laquelle je m'accrochais pour regarder les enfants jouer était plantée là, au centre d'un carrefour, au milieu du vide. Tout était neuf ou à construire. Cette banlieue je l'ai quittée très jeune.
Ma seconde maison de banlieue était un appartement à loyer modéré, de fonction aussi, occupé par mes grands-parents. Un point de chute. J'y ai passé 15 ans d'enfance. J'y ai joué, j'y ai grandit. Je l'ai circonscrit de tours de vélo, de patin à roulettes. Courses, balançoires. Allers retours. Qui accompagnait qui à l'église, au parc, aux courses ? Plus tard, je m'y suis ennuyée aussi.
Ma troisième maison de banlieue, j'y ai vécu 9 ans. C'est une maison neuve, nous l'avons construite. Période d'implication, de naissance, de démarrages. Moment de transition, pourtant la fin de quelque chose qui fut notre vie urbaine. L'endroit me fait penser à celui de mes grands-parents, ses jardins communaux, son esprit populaire. On dirait que ça marche, mais ça ne marche pas. Sauf à ne pas y regarder de près. C'est une dureté. Et mieux ça s'urbanise et plus on l'éloigne, cette dureté. Mais elle est toujours là sous-jacente. La banlieue finalement c'est toujours le lieu repoussé.
Qu'est-ce qu'on fait alors avec nos souvenirs ? Avec leur propension à rester où ils sont ou bien à faire surface et à se mélanger avec d'autres, avec ceux des autres, ceux de Pialat par exemple. Comment on les transforme par l'écriture ? Par l'écriture, comment on les rapproche ?
Dès la sortie du tunnel tu cherches des yeux la longue caravane, la yourte
bordure à l'extérieur de la ville, revers précaire
charnière (ralentissement)
quelque chose d’enfance
au-delà des cabanes
des souvenirs bricolés bien sûr et qui ne tiennent qu'à un fil
quelqu'un pour une fois est assis devant, se réchauffe à un feu
c’est peut-être lui, passager intérieur, le frère de ton frère, le début de ton début
ceux que tu cherches
ils ont changé depuis leur départ, ils ne sont plus tout à fait les mêmes
ils apparaissent entre les routes et les ponts
entre le sable et l'eau, au lever du soleil
les tissus sèchent
un manège pour faire trotter les chevaux
une cavalcade d'ordures ménagères
les grues remodèlent l’horizon, sans cesse
les fausses montagnes font écran
une rangée d’arbres nous cache les uns des autres
mais depuis le pont, quand tu regardes, tout se touche
l'homme assis sur ses talons et le joggeur dans les allées du parc
les tentes mongoles et les friches en espalier
les meulières le long de la voie
les arbustes des talus broyés comme des cannes à sucre
péniche VÉGA devant le Mékong
est-ce qu'écrire ces chevauchements sur ton carnet érode un peu la réalité
entame la surface, travaille à sa porosité ?
lignes ajoutées entre des lignes anciennes, notations palimpseste
(la feuille est ramollie, souple, le carnet a finit par doubler de volume dans ta poche)
tu ne peux pas gober le paysage entier, lisse et dur, refermé
ni accepter qu’il soit totalement écartelé et nu
découpé en rondelles - en parcelles - en portions
en zones à urbaniser ZUP - en priorité
zones d’aménagement ZAD - différé
ZAC - concerté
ZAC - concerté
plutôt grimper sur les hauteurs de sable
appeler de là-haut en secret une incertitude toujours entretenue
nos paysages pauvres, nos friches, nos jointures
nos portraits impossibles à déplier
comment nous reconnaître sinon, comment nous retrouver ?
("À l'approche", travail en cours)
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