11.07.2016

À 10 000 mètres d'altitude je lis "Les pâques à New York"





































Dans l'avion qui nous emmène, j'embarque avec Blaise Cendrars
"Du monde entier au cœur du monde". 
Nous traversons l'Europe, c'est rapidement la nuit 
Nous survolons la mer Caspienne (un trou), le Turkménistan, l'Afghanistan — 
l'écran le dit, il faut le croire. 
À la frontière entre le Pakistan et l'Inde, l'avion dessine un crochet insensé
en V
puis reprend sa ligne droite. 

À 10 000 mètres d'altitude je lis "Les pâques à New York" en suivant sur l'écran le monde
 (les températures, les vitesses, les distances)
Une ombre en forme de cuvette 
(c'est la nuit qu'on traverse)
Remontant quelque peu en arrière le temps qui ne passe pas plus vite. 
Quand-même j'ai l'espoir, en lisant les "Poèmes Élastiques", d'approcher un matin, n'importe lequel. 

Un nuage à cette hauteur est un magma mal mélangé où nous tressautons en aveugle. 
À ce stade on ne sait plus trop bien ce que devient en bas le paysage.

Il dit que le paysage ne l'intéresse plus
Mais la danse du paysage
La danse du paysage
Danse-paysage
Paritatitata
Je tout-tourne *   

À 3h du matin j'aborde les "Documentaires", du concret enfin. 
À coup de ciseaux dans l'œuvre de l'ami Le Rouge (Gustave, auteur de romans populaires), Cendrars fabrique pour moi de petites cartes postales comme-si-on-y-était déjà
clic-clac, Kodak ! 
Il est précis et prévoyant. Il a tout écrit à l'avance. 
Je n'ai qu'à fournir les images.

Pendant des semaines les ascenseurs ont hissé des caisses des caisses de terre végétale
Enfin
À force d'argent et de patience
Des bosquets s'épanouissent
Des pelouses d'un vert tendre 
Une source vive jaillit entre les rhododendrons et les camélias
Au sommet de l'édifice l'édifice de briques et d'acier
Le soir
Les waiters graves comme des diplomates vêtus de blanc se penchent sur le gouffre de la ville
Et les massifs s'éclairent d'un million de petites lampes versicolores
Je crois Madame murmura le jeune homme d'une voix vibrante de passion contenue
Je crois que nous serons admirablement ici *   





































À ce stade je me suis endormie, rêvant de ce 34ème étage à Singapour où tu m'attends. 
Mon corps déjà nostalgique du sol. 
À l'arrivée, balades, les rues, les musées
c'est sûr, tu as tout programmé.

Visite des serres
Le thermo-siphon y maintient une température constante
La terre est saturée d'acide formique de manganèse et d'autres substances qui impriment à la végétation une puissance formidable
D'un jour à l'autre les feuilles poussent les fleurs éclosent les fruits mûrissent
Les racines grâce a un dispositif ingénieux baignent dans un courant électrique qui assure cette croissance monstrueuse
Les canons paragrêle détruisent nimbus  et cumulus
Nous rentrons en ville en traversant les landes
La matinée est radieuse... *






































































*Dix-Neuf Poèmes Élastiques, Ma Danse


*Documentaires, West, Roof-Garden


*Documentaires, West, Laboratoire


Blaise Cendrars
"Du monde entier du cœur du monde", NRF, Poésie Gallimard, 1967 / 2006.

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