Traverser des textes « c’est écrire des récits de voyage qui, incessamment (…) transforment des lieux en espaces ou des espaces en lieux ».
Cette citation empruntée à Louis Marin pourrait marquer l’aboutissement (provisoire) d’un petit récit qui s’est constitué malgré moi et pourtant de mon fait — un petit récit de traverse en 4 étapes.
Du récit de voyage à la pensée traversière
Recherchant sur internet un élément de la définition que donne Louis Marin du récit de voyage — définition sur laquelle je m’appuie dans la première partie du volet théorique de la thèse car c’est celle qui me semble la plus concise et la mieux articulée autour de la notion de trajectoire (et de mouvement) — je tombe sur un article qui m’arrête par son titre : « Louis Marin sur les chemins de traverse ».
Or, ce mot de traverse me trotte à l’esprit en ce moment car je cherche à formuler cette idée d’une pensée de traverse comme méthode heuristique. Ma façon de visiter un corpus particulièrement large et d’effectuer, plutôt qu’une fouille, une traversée est en adéquation avec mon sujet des "récits de déplacement" (et en réalité, sujet et méthode sont probablement liés de manière bien plus profonde pour moi qu’en une simple relation de cause à effet).
Or c’est précisément cette pensée à l’œuvre chez Louis Marin qu’évoquent les deux auteurs de l’article :
la façon dont le sémioticien développe, d’un livre ou d’un texte à l’autre, une trajectoire de pensée en mouvement en s’attachant à la question de traversée, de passage — c’est-à-dire plutôt le par où ? (qua) que le depuis où ? (unde) ou le vers où (quo). Pratique qui nécessite de déployer une certaine légèreté, de rester toujours en mouvement, de ne pas chercher par exemple à assoir une position de spécialiste.
la façon dont le sémioticien développe, d’un livre ou d’un texte à l’autre, une trajectoire de pensée en mouvement en s’attachant à la question de traversée, de passage — c’est-à-dire plutôt le par où ? (qua) que le depuis où ? (unde) ou le vers où (quo). Pratique qui nécessite de déployer une certaine légèreté, de rester toujours en mouvement, de ne pas chercher par exemple à assoir une position de spécialiste.
C’est précisément ce genre de chose que je ruminais.
De la pensée traversière aux jeux d’espace
Lisant quelques articles de plus de Louis Marin, je trouve les mots déviations, dérives, écarts, ou vacances... — lexique spatial qu’il emploie pour parler du livre de Thomas More, L’Utopie.
Et encore,
« Pour les siècles à venir, toute utopie commencera par un voyage. », écrit-il.
« Mais tout voyage n’a-t-il pas toujours été une utopie, non pas simplement la quête curieuse d’un “ailleurs” qui n’est tel que par la position d’un “ici” (…) mais d’abord, et surtout, ce moment et cet espace de vacance qui interrompt la continuité des temps et met en suspens l’ordre de lieux. » (L.M.)
Des jeux d’espaces aux Pistes de rêves
Au bas du site qui présente son livre Utopiques : jeux d’espaces, une liste déroule la proposition d’une bibliographie Art, territoire, cartographie, au hasard de laquelle je retrouve un livre dont il m’a été fait cadeau il y a quelques mois et que je n'ai pas encore ouvert : Walking and mapping : artists as cartographers, de Karen O’Rourke (2013) .
En prenant le temps de le feuilleter je m'arrête au chapitre 5, "When Walking Becomes Mapping : Labyrinths, Songlines", sur des images d’un projet multimédia réalisé par Barbara Glowczewski dont je connais le travail d’anthropologue. Son objet est une sorte de carte mentale interactive qui sert à relier les formes artistiques (chants, rêves, mythes) et les lieux (pistes, trajets, sites) sur le territoire désertique de la communauté aborigène Warlpiri d’Australie.
“Because tracking is really the core of most Aboriginal philosophy.” (B.G.)
“She stresses the essential dynamism in Aboriginal culture where the track is “the trace left by something that is moving, dancing, or walking.” (K. OR.)
Il se trouve que B. Glowczewski est l’une des premières personnes que j’ai croisée sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes quand, il y a deux ans, elle fut invitée avec Vanessa Escalante (réalisatrice de La Révolte des rêves) et Nidala Barker (militante australienne), à parler des luttes aborigènes. La ZAD est en outre le lieu depuis lequel j’ai souhaité fonder mon nouveau récit, Vers les terres vagues, qui constitue le volet littéraire de la thèse.
Je ne raconterai pas ici, car ce serait long et probablement incomplet, la place que prend dans mon travail cette façon aborigène de concevoir le territoire et de lier temps et espace par le déplacement. Dire simplement que c’est suffisamment important pour que je décide de faire 250 kilomètres pour passer la soirée sur la ZAD, où mon nouveau lieu de réflexion poétique (le bocage) en croisait alors un plus ancien (les pistes de rêve).
Une fois encore — et sans avoir l’impression d’y avoir brusqué quelque-chose — les aborigènes s’invitaient dans mon travail.
Une fois encore — et sans avoir l’impression d’y avoir brusqué quelque-chose — les aborigènes s’invitaient dans mon travail.
Récit d’utopie, dirait Louis Marin.
Où pensée traversière est pensée de dérive.
Marchant, de trou d’eau en trou d’eau, dans mon paysage intérieur.
Croisant parfois sur ma piste de plus anciens marcheurs.
[article : "Louis Marin sur les chemins de traverse", par Alain Cantillon & Pierre Antoine Fabre, 2016, "La vie des idées" revue numérique.]
VirginieGautier - journal de la thèse, Recherche & Création littéraire, Université de Cergy-Pontoise, laboratoire AGORA, 2016-2019 - Ce travail est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.
VirginieGautier - journal de la thèse, Recherche & Création littéraire, Université de Cergy-Pontoise, laboratoire AGORA, 2016-2019 - Ce travail est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.
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