Travail en cours
Mon projet d’écriture se présente comme un dispositif. Son sujet, ses motifs s'y confondent. Il s’agit de poser un cadre et de laisser les choses entrer dedans. Ce cadre indique un espace à traverser, une direction et une durée. Il conditionne le texte à venir.
Début avril j'entamerai un voyage d’écriture itinérante entre mon domicile et Notre-Dame-des-Landes. C’est un trajet d’environ 250 km, que je vais parcourir essentiellement à pied, en mixant bords de routes et sentiers piétonniers avec quelques étapes en car ou en train.
J'ai le désir d’associer écriture et déplacement, dans une démarche performative - pas simplement au sens d’un effort physique, mais aussi au sens d’un dépaysement. De m’exposer à une part de hasard et d'inconnu. De traverser paysages et zones urbaines avec le territoire de la zad et ce qui s’y invente en point de mire. D’œuvrer dehors. D’intensifier, par la production d’une forme esthétique, l’expérience de ce déplacement. D’articuler parcours et improvisations, effort et contemplation, solitude et échanges.
J’ai lancé un appel à hébergements sur les localités de mon passage, au sein des réseaux de comités de soutien à la zad, et reçu des propositions d’accueil. C’est une chose à la fois très simple et très exceptionnelle, d’être accueillie pour une nuit chez des gens que vous ne connaissez pas.
Appeler ça voyage, à condition de dire voyage aussi pour la traversée d’un village, des kilomètres de routes communales, un défilé de voitures. Appeler ça déplacement pour dire un passage, un mouvement, un « aller vers » qui déjà me déporte, imprègne tous mes gestes, l’esprit, le corps. Une déprise qui consiste à aimer mieux un espace autre, le préférer à l’entre-soi. Aller au-devant d’un paysage comme au-devant d’un texte sans savoir à l’avance dans quoi il vous proposera d’entrer. Longer une route pour tracer une ligne, faire un geste. Ecrire comme s’il s’agissait de marcher dans ce texte. Sans se priver d’aucune bordure, d’aucun talus, ni même de la fatigue. La marche produit un estrangement, dit Thierry Davila*. Il y a aussi une forme d’empirisme dans cette façon d’aller reconnaître - par la vue, le toucher, le pas - les mots, sans les démêler des choses ni de leur perception.
Appeler ça voyage, à condition de dire voyage aussi pour la traversée d’un village, des kilomètres de routes communales, un défilé de voitures. Appeler ça déplacement pour dire un passage, un mouvement, un « aller vers » qui déjà me déporte, imprègne tous mes gestes, l’esprit, le corps. Une déprise qui consiste à aimer mieux un espace autre, le préférer à l’entre-soi. Aller au-devant d’un paysage comme au-devant d’un texte sans savoir à l’avance dans quoi il vous proposera d’entrer. Longer une route pour tracer une ligne, faire un geste. Ecrire comme s’il s’agissait de marcher dans ce texte. Sans se priver d’aucune bordure, d’aucun talus, ni même de la fatigue. La marche produit un estrangement, dit Thierry Davila*. Il y a aussi une forme d’empirisme dans cette façon d’aller reconnaître - par la vue, le toucher, le pas - les mots, sans les démêler des choses ni de leur perception.
Marcher comme des indiens-contraires, retrouver des précautions, des obscurités, des
reliefs. Rapprocher des matières. Mettre nos langues au contact des friches, qui ne doivent
rien à nos usages ; des forêts, qui ne doivent rien à nos méthodes. Envisager dans chaque
recoin des jachères, c’est-à-dire des sols au repos dont personne ne tirerait parti, desquels
il serait temps de déterrer de vieilles nouvelles manières, totalement neuves et inconnues
de nous, imaginées et expérimentées,
ai-je écrit il y a quelques mois en pensant au territoire de la zad, à ce qui s'y invente. Je continue à me documenter, à lire, à me renseigner sur la diversité des expériences et des parcours de ceux qui l'habitent. À être admirative de cette façon trouvée au jour le jour pour construire ensemble dans un espace non régit par des fonctions assignées. Cette expérimentation a une forte portée poétique en ce qu'elle n'est pas un credo, mais une attention, une invention, une résistance.
"La raison technicienne, écrit Luce Giard dans la présentation de L'Invention du quotidien*, croit savoir comment organiser au mieux les choses et les gens, assignant à chacun une place, un rôle, des produits à consommer. Mais l'homme ordinaire se soustrait en silence à cette conformation. Il invente le quotidien grâce aux arts de faire, ruses subtiles, tactiques de résistance par lesquelles il détourne les objets et les codes, se réapproprie l'espace et l'usage à sa façon...."
Au moment de dessiner les lignes crénelées de ces parcours, je pense aux durées, aux contournements, aux déploiements, aux figures fractales des chemins côtiers puis aux droites mathématiques, aux tracés imposés, aux calculs des rendements, aux rapports trajectoire/vitesse, aux espaces-temps, aux lignes de rêve (dreamtime), aux stoppages étalon de Marcel Duchamp, à la courbure naturelle du hasard, et je mesure, dans ces écarts, un ensemble de mondes. De ces mondes, je sais au moins la compossibilité.
*Thierry Davila, Marcher, Créer - Déplacements, flâneries, dérives dans l'art de la fin du XXème siècle, Les éditions du Regard, 2002.
*Michel De Certeau, L'invention du quotidien, I. Arts de faire, nouvelle coll. Folio essais, Paris Gallimard, parution 1990.
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