6.23.2015

Quelque chose qui est le visible et son tourment




"Il faut avoir infiniment ralenti pour constater cela. Les enroulements, les poussées, les reptations. Jour après jour la quantité des herbes qui sortent de terre. La berge et l'eau qui verdissent ensemble. Le garçon adolescent suit les transformations et ses yeux s'agrandissent. Ses cheveux ont poussé. Ils s'attache à repérer ce qui change et à reconnaître ce qui demeure comme le bruit de l'eau qui coule, n'en finit pas de couler. Son cœur enfle. Cette profusion qui colonise chaque centimètre carré remplit son corps, ses mains, son ventre, sa bouche. Il ne peut plus tout contenir, roule sur la terre, enfouit son visage dans l'odeur des herbes. Il est neuf lui aussi, à nouveau éveillé, sorti de terre, tendre et fragile. Très fragile, très vert. Il palpe la douceur du sol avec ses joues. Approche du vertige, s'étourdit.(extrait de "Ni enfant, ni rossignol")

Le travail associé à la résidence de Grand-Lieu entre 2014 et 2015 s’achève. Un texte et des dessins seront publiés en novembre aux éditions Joca Seria.
J'arrivais avec Fernand Deligny, ses lignes d'erre, le film "Ce gamin-là". 
J’arrivais avec Claude Monet, la très belle biographie de Marianne Alphant, « Une vie dans le paysage ».
Je voulais m'attacher au lieu, par l'écriture et le dessin. Parler du corps et du paysage, d'un indissociable entre corps et paysage. 
Je découvre tout ce qui s'est inséré dans le texte maintenant que la rédaction est achevée, ou plutôt je découvre que Tout s'y est inséré. J'ai déjà écrit un article sur ce Tout : "Je sais qu'on ne peut pas tout embrasser mais il me plaît de dire TOUT...". C'est le désir que le texte devienne le produit d'une expérience, ce condensé. Que les rencontres, les images, les choses vues, lues et entendues le constituent.

"Nous ne sommes pas séparés de la vie au milieu des buissons et des choses communes"écrit Henry Bauchau. "Nous sentons la peau de l'air et pourtant nous demeurons séparés"écrit André Du Bouchet.
Cette empathie première, je la renvoyais à l'enfance et à l’art.
Mon texte parle depuis le lieu du lac de l’idée de nature. Enfants, adolescents, danseurs, personnages mythologiques ou promeneurs, tous en sont les acteurs.

Dans un colloque sur la science et le sensible, Georges Didi Huberman parle de la lumière des lucioles par opposition à la lumière des projecteurs. Il parle de la visibilité médiatique qui fait du “regardant, celui qui surplombe le regardé”, par opposition à une autre vision, celle de Merleau-Ponty, d'un corps voyant qui s'ouvre au corps visible dans le même temps qui celui-ci est ouvert, par le regard, par le désir. Il parle de la dimension érotique de la perception. 
J'écoute Didi Huberman et je retrouve mon idée de non-séparation, c'est à dire de connivence. Une relation impliqué, affective, avec le monde.

Depuis le début c'est ce sillon que je creuse. Au centre il y a la question de la perception. "Une pulsation, dit Merleau-Ponty cité par Didi Huberman, qui va de l'être à l'expérience et de l'expérience à l'être. Et qui amène Merleau-Ponty à penser quelque chose comme un baiser, un acte des lèvres adressé au visible et dans le visible."

“Quelque chose qui est le visible et son tourment”, note elle-même Marianne Alphant en parlant de Claude Monet. 

"Sur l'îlot minuscule, l'adolescent si bien caché regarde le reflet du ciel. La mousse, près de l'écran d'eau douce, transpercée par les joncs. Joute des joncs dans l'eau. Pendant que les poissons collent leurs bouches à la peau de ses doigts. Vision où défilent des nuages chargés de feuilles neuves, très pâles. Ses yeux s'emplissent de buées. Les nuages s'amarrent, s'émoussent, se transforment. Se divisent, s'éparpillent. L'œil s'y perd, n'y reconnaît pas son chemin, n'y cherche rien, s'abreuve du fugace, de l'aperçu, de la fragilité des formes. Voir, c'est comme boire, comme avaler, le garçon adolescent est enivré, complètement repu." (extrait de "Ni enfant, ni rossignol")


nénuphars, dessin au crayon à partir des croquis
de résidence ©VG

Narcisse, fresque à Pompéi
























La ville et l'eau

"Ecrire la ville au bord de l'eau", un atelier d'écriture le long du canal de l'Ourcq, par Claire Lecoeuravec "Marcher dans Londres en suivant le plan du Caire".

« On rêve avant de contempler. Avant d’être un spectacle conscient tout paysage est une expérience onirique »,  écrit Gaston Bachelard dans L’eau et les rêves, ouvrage qui donne son nom à la péniche librairie que nous croisons, au fil de l’eau. 
Claire Lecoeur

« C’est une ville, elle a des frontières visibles et des frontières invisibles. On fait un pas de plus pour voir jusqu’où on a le droit d’avancer. » (Marcher dans Londres en suivant le plan du Caire)

/le site des ateliers Claire Lecoeur

6.22.2015

39 les bougés-paysages


Les bougés-paysages, vite débités, mal saisis, en plein vent, désirés, flous, entr'aperçus, ondulants, déployés, sauvages, obscurcis, chevelus friables, collés au ciel, où l’on s’enfonce, et les à pic devant quoi on est bien forcé de s’arrêter.

6.10.2015

38. longtemps j'ai cru chacun de mes choix provisoire

Longtemps j'ai cru chacun de mes choix provisoire, chacune de mes habitations momentanée, comme s'il y avait dans une seule vie une réserve inépuisable d'avenirs. Dépliages qui je le crains s'amenuisent. Faut-il me résoudre au durable ?

6.02.2015

37 à cette extrémité


À cette extrémité, à cette terminaison, mais long le jour, et remonté le temps, et poussée vers (fin du paysage) ce qui reste : luxueuse, la lumière.

6.01.2015

36 être à la fois


Etre à la fois le pain, l’enfant et la forêt, le repas des oiseaux, le lanceur de miettes, le labyrinthe. Écrire est une réponse à la question que vous ne posez pas.