6.25.2013

Tout s'oppose, rien n'est séparable


Vous êtes assise dans le champ entre les immeubles. A même la terre. Vous avez dégagé une place, piétiné quelques herbes revêches autour de vous. C'est une installation temporaire, vous allez repartir. L'espace est vacant, il est inoccupé. Espace approximatif, mal déterminé, où se perdent les regards. Et il est vrai qu'autour de vous, ce sentiment quasi océanique ― les herbes oscillent comme des vagues en mouvement d'ensemble ― n'est arrêté que par des murs ou une façade d'immeuble, enfoncés dans la végétation profuse, printanière. Nous sommes le 929ème jour du voyage, à Narva(1), en Estonie, tout près de la frontière Russe. Une femme est assise dans les herbes, avec ses enfants, pour un pique-nique le temps d'un après midi.
Terrain vague.
Temps vacant.
Endroit privé de quelque chose qui par son manque nous fait gagner autre chose. 
Retrait plutôt que privation. Hors la dynamique urbaine d'habiter, de sécuriser, de produire. Un trou dans le présent productif. Etendue de promesses au milieu desquelles vous vous êtes amarrés.

C'est une ville, tout s'oppose, rien n'est séparable.

The urban order calls to the indefiniteness of the terrain vague(2)
L'ordre urbain lui-même appelle l'indéfinition du terrain vague.




(1) PHOTOS - Voyage d'Olivier Hodasava sur http://dreamlands-virtual-tour.blogspot.fr  vendredi 25 janvier 2013, 929ème jour. Merci à lui.

(2)"Terrain Vague" - Un texte d'Ignasi de Sola-Morales, architecte.


6.03.2013

Demain n'est pas la suite d'hier


A Berg C'hour* les bénitiers attirent le soleil dans leurs nacres sous les porches des basiliques. Remontés ruisselants du fond des mers, c'est l'avantage de la côte. Les murs ont la couleur d'ardoises effritées, gris-bleu nuit rongé comme seul fait le temps quand il s'allie aux choses du climat. Vent de l'ouest et tempêtes de mer. A Berg C'hour les mouettes font les poubelles pendant qu'air ronge les murs. Pour les mouettes tout le monde le sait, en est sûr. 
Je passe un jour ou deux sous une tente qui démultiplie le bruit de la pluie – à tout prendre et en guise d'eau j'aurais bien vu celle des vagues. Jusqu'à ce qu'un matin un éclat du soleil sur un carreau de camping-car rebondisse dans ma chambre d'hôtel. Rez de chaussée. Ouverture entre deux nuages. Berg C'hour s'éveille. Me tire une fois de plus vers la mer de laquelle il n'offre rien d'autre qu'une forêt de mâts. Promesse, ou tentative. J'écoute des cliquetis qui me rappellent ma préférence pour les ports. Y dormir plutôt que dans les coques des navires. Le chant des drisses à l'appui de la terre. A Berg C'hour le vent me déporte en arrière.
En arrivant je prends la photo d'une flaque de boue dans un nid de poule parfaitement circulaire.
En arrivant je fais le pépiement d'oiseau sur un parking en pensant à une gamine qui danse à Wuppertal. 
Ma légèreté est réellement borderline.
Une statue de Napoléon désigne l'endroit du doigt, va ! avec ta petite mallette d'outils bricoler quelque chose qui est plus grand que toi. Tant pis pour la promesse tardive des vagues, l'océan délié. J'ai la silhouette des yuccas en ligne de mire. Les pontons. La cité de la mer et l'exposition. 

Les garçons aux cailloux qui m'ont fait revenir en arrière, même si je me retourne, je ne les verrai pas. Berg C'hour ne sera plus jamais comme cette fois, un détour, ouverture entre deux nuages. Même si je me retourne. Puisque demain n'est pas la suite d'hier, tout le monde le sait ça, le sait bien.