9.19.2023

Ils semblent loin les kilomètres


19 septembre 2023


Ils semblent loin les kilomètres de routes dans les lumières d’Atacama. Mais je reprends mes notes sur les nuits d’observation des étoiles. Et me plonge dans le 1er volume des poèmes de Gabriela Mistral, Essart, paru en 2021 aux éditions Unes (un deuxième tome, Pressoir, qui complète ce 1er vient juste de paraître). Puis l’université reprend de la place dans mon emploi du temps. Sinon c’est une année de voyages en France qui se prépare puisque j’irai écrire et travailler de Carpentras à La Ciotat en passant par Rennes, Nîmes et Dunkerque. Ici, le grand atelier est presque prêt, reste à construire le mobilier : des rangements sous les combles et 2 bureaux dont un, mobile, pour travailler debout. J’avance lentement sur le Recours à la nuit — ce sont quelques paragraphes, des rencontres, des lectures,  l’organisation mentale d’un ensemble de choses à agencer en attendant des périodes plus propices à de grandes plages d’écriture. Les petits poèmes-trouvés m’accompagnent quotidiennement et j’ai été saisie, dans le mémoire d’Isabelle V., par cette idée d’une pratique “en adoption” (versus “en invention”) — le terme est de Joan Foncuberta dans son Manifeste pour une post-photographie (Actes Sud, 2022) — il valorise l’acte de recueillir, de faire siens les signes, les mots, les phrases, les images des autres, que l’on reformule et réassocie et dont on fait sa propre matière. Le mot me frappe d’autant plus que ces centons, je les appelle des "poèmes-trouvés" comme on dit des enfants-trouvés, et qu'à travers cette question d'une écriture en adoption c’est toute une généalogie familiale qui s’éclaire. Généalogie par laquelle j’hérite d’une certaine forme d’errance, comme un stigmate invisible, qui rejaillirait dans mes écrits. Sergueï Eisenstein, lui, parle de “montage par attractions”. J'aime également ce terme d’attractions qui donne à penser que l’on n’adopte pas des phrases-rejetons, des phrases-boutures totalement par hasard, et que, si elles disent quelque chose de nous, elles ont également quelque chose à nous dire.



9.04.2023

En montant dans la vallée de l'Elqui

 
14 juillet 2023 — Vallée de l'Elqui, Norte Chico, Chile

En montant dans la vallée de l'Elqui, c'est comme si nous avions changé de saison, l'été est revenu, le vent est chaud à Vicuña, village de naissance de la poète Gabriela Mistral. Dans le musée qui lui est dédié je découvre, à travers ses poèmes, son rapport très physique aux paysages de son enfance, quelque chose d'à la fois rustique et mystique. Je prends en note quelques lignes de ce qui m'apparait comme un poème adressé à la terre et un fragment adressé au ciel, ci-dessous. Bientôt nous irons dans les collines observer le ciel nocturne, et dans cette région semi-désertique du Norte Chico peut-être apercevrons-nous un pan de "cet espace peuplé de mondes, non d'étincelles" qu'a fréquenté Gabriela quand elle s'appelait encore Lucila. 

Amo una piedra de Oaxaca
o Guatemala, a que me acerco,
roja y fija comme mi cara
y cuya grieta da un aliento

Al dormirme queda desnuda;
no sé por qué yo la volteo.
Y tal vez nunca la he tenido
y es mi sepulcro lo que veo... [Cosas]

J'aime une pierre de Oaxaca
ou de Guatemala, de laquelle je m'approche
rouge et fixe comme mon visage
et dont la fissure apporte un souffle

Quand je m'endors elle reste nue ;
je ne sais pas pourquoi je la retourne.
Et peut-être que je ne l'ai jamais tenue
que c'est ma tombe que je vois

Yo le mostraría el cielo del
astrónomo, no el del teólogo ;
le haría conocer ese espacio
poblado de mundos, no poblado
de centellos ; le mostraría todos
los secretos de esas alturas. [La instrucción de la mujer]

Je vous montrerai le ciel de
l'astronome, pas celui du théologien ;
je vous ferai connaître cet espace
peuplé de mondes, non pas peuplé
de scintillements ; je vous montrerai tous
les secrets de ces altitudes.