11.29.2023

Écrire pour penser ce qui se trame

 
29 novembre 2023

Écrire pour penser ce qui se trame. Provoquer des croisements. Relier. Au moment de commencer une note dans ce Journal, le plus souvent je ne sais pas de quoi parler. Quels liens se feront parmi ce qui m’occupe en ce moment ? Comment cette résidence de 4 jours — qui m’a permis de plonger dans la commande d’un texte sur les sols, à partir d’entretiens auprès d’agriculteur, archéologue, éleveuse,  viticulteur, géologue, astrophysicien, naturaliste, etc., pour le projet de concert radiophonique « Sols 360° » de la "Cie de papier" — m’a coupé du texte sur la nuit. Commande que je ne pouvais pourtant refuser, tant elle fait écho à mes préoccupations depuis toujours. Parce que je nommais déjà « Sols » mes sculptures en dernière année d’études aux Beaux-Arts. Parce que dans la 1ère note de ce Journal irrégulier, en 1999, j’évoque le texte d’Edmond Husserl, L’Arche-terre ne se meut pas, dans lequel la question de la terre comme sol est posée sous le prisme de la phénoménologie. Parce que je dessine des carottages et des éléments de géologie sur les pages du livre Pierres et terrain de Gaston Bonnier (1880). J’avance donc lentement dans ce texte de commande, en attendant une prochaine période de résidence au laboratoire d’archéologie du CNRS à Rennes en décembre. J’avance en coupant mes journées en deux. Matins bénis de l'écriture. En m’occupant de tout le reste l’après-midi. Ce n’est jamais facile pour moi de passer d’une chose à une autre. Mais comme il y a beaucoup de chantiers ouverts cette année, pour ne pas subir un temps trop sectionné et me sentir moi-même dispersée, voire pétrifiée par la multiplication des morceaux, j’ai imaginé une stratégie qui consiste à penser que tout est une seule et même chose. Une chose curieuse, mouvante, polymorphe, insatiable, qui se nourrit de tout et que tout nourrit. En ce moment j’y inclus ma lecture du livre de David Abram, Comment la terre s’est tue (2013), qui me reconnecte avec d’autres lectures chères, et rapproche connaissances, intentions et intuitions. Et celle du magnifique Manuel de cartographies potentielles : Terra Forma, de Frédérique Aït-Touati, Alexandra Arènes et Axelle Grégoire, que j'ai réouvert et avec lequel j’espère voyager encore pendant quelques années.

11.07.2023

De retour de quinze jours de résidence


07 novembre 2023


De retour de quinze jours de résidence à Carpentras, où j’ai fait la rencontre de Laurence Decaesteker. Beaucoup de conversations. Nous avons été invitées, elle comme plasticienne, moi comme écrivaine, par l’association Les Voyages de Gulliver, dans le but de mener ensemble des ateliers autour du thème des chemins coutumiers dans un centre d’accueil qui héberge des personnes isolées et en grande précarité. Le format était nouveau pour moi. Il a fallu adapter l'atelier d'écriture à un public fluctuant, interagissant dans l’immédiateté et souvent en incapacité de se poser pour écrire — et imaginer des formes de prises de notes et des enregistrements individuels ou collectifs, dedans et dehors, toutes collectes de paroles que je transformais ensuite en récits à partager. Cette première résidence de l'année a également été l’occasion de me poser pendant quelques demi-journées, en dehors de toutes autres sollicitations, dans l’écriture du texte "Recours à la nuit". Le dimanche du passage à l’heure d'hiver, avons visité l’exposition “La Nuit Démesurée” dans le parc des Baronnies. Magnifiques photographies de nuits étoilées et  plongée dans les nuits textuelles de Jean Giono. Photographié cette citation : "ma sensibilité dépouille la réalité quotidienne de tous ses masques ; et la voilà, telle qu'elle est : magique. Je suis un réaliste" (J. Giono, "Noé"). J'aime l'apparent paradoxe, la qualité magique du réel me parait aujourd'hui très évidente. Encore faudrait-il définir la magie, par exemple avec David Abram, comme l'expérience de vivre dans un monde fait d'intelligences multiples et la  capacité à changer de forme de conscience / d'expérience : "en propulsant, dit-il, son attention de côté, en-dehors, dans la profondeur d'un milieu à la fois sensuel et psychologique, dans le rêve vivant que nous partageons avec le faucon qui plane, l'araignée, ou le rocher laissant en silence se développer des lichens sur sa face rugueuse" (D. Abram, "Comment la terre s'est tue"). Puis nous avons marché dans une nuit venteuse, depuis la petite chapelle de la Consolation, en écoutant les rafales dans les arbres et les cailloux rouler sous nos pieds — sans voir autre chose de la pleine lune que son halo, parfois, entre les masses nuageuses. Quelques jours avant mon retour, une tempête de Toussaint frappait la pointe du Finistère, sans faire trop de dégâts d’arbres chez nous, sans nous priver, et c'est heureux pour travailler, des connexions électriques.