Lumières mouvantes des côtes, déflagrations, le ciel roulant, déroulé, couché sur le paysage, une peau de tambour avec
volées d’oiseaux.
12.22.2014
11.15.2014
Autour du lac #13 14 15
Samedi
Autoportrait en vert. Hier soir je concluais par ce petit roman de Marie N'Diaye. Tout en évoquant la couleur verte, ici signe d'un débordement. Là, chez Walser, dont j'ai lu aussi un extrait, symbole coloré de son rapport à la nature, à la forêt, une coulée. Et qui inclut le mouvement tout entier de la promenade. Autre rapprochement, avec les derniers tableaux de Monet, les bassins aux Nymphéas, noyés dans le vert. C'est une plongée dans l'eau, métaphore de la peinture, qui saisit des reflets du monde.
Ce petit flyer vert représentant les joncs en mouvement photographiés en juin sur les bords du lac, à Passay, vient s'inscrire dans cette suite, invisible mais présente, qu'il me plait de sentir près de moi pour avancer dans l'écriture du lieu.
Ce petit flyer vert représentant les joncs en mouvement photographiés en juin sur les bords du lac, à Passay, vient s'inscrire dans cette suite, invisible mais présente, qu'il me plait de sentir près de moi pour avancer dans l'écriture du lieu.
Vendredi
Piaillements de canards invisibles. Passage d'avion. Tirs sporadiques. Un grand calme au bord de l'eau.
Des cormorans, une vingtaine.
Ils font une large boucle, semblent tourner sur eux-mêmes, en spirale. La danse, me suis-je dit, c'est celle des oiseaux descendus tous ensembles en arc de cercle vers l'eau - non sans remarquer à quel point nous humains sommes sans cesse trahis par nos bruits, nos mouvements, alors même que nous croyons nous fondre un peu dans le paysage.
Jeudi
Réserve : sous condition / à l'exception de / restriction, limitation / local où l'on entrepose / substance accumulée / non engagé / laissé disponible / surplus / mis de côté par sauvegarde ou protection / territoire assigné aux indigènes / endroit d'une bibliothèque où sont conservés les ouvrages rares / toute partie dans un dessin, une peinture, une gravure, sur laquelle il n'existe pas d'application / laissé en blanc / toute partie protégée / discrétion.
11.13.2014
Autour du lac #10 11 12
/ En résidence avec l'association L'esprit du lieu, au lac de Grand-Lieu (44)
Carnet de résidence
Mercredi
Carnet de résidence
Mercredi
Mon corps entier en alerte, une alerte douce, pour sentir, pour apercevoir, pour être là. Je dessine les branchettes des arbres tombées au sol pendant le coup de vent de la nuit. Des droites, des arcs de cercle qui paraissent avoir été adroitement disposés. Des signes, des traces archéologiques, des ossements. Tout un jeu de lignes qui renvoie à un territoire plus vaste. « Tout est à l’oeuvre dans chaque fragment, dans chaque repli, il n’est pas besoin d’en savoir davantage » (Les Zones Ignorées).
Mardi
Relu ce soir le texte "Sur le théâtre Balinais", d'Antonin Artaud. Nuit au dehors. Pluie derrière le rideau. Retrouvailles. Ce que le texte porte d'émotions de mes lectures antérieures. L'impression de suivre des phrases déjà inscrites dans une mémoire qu'il suffisait juste de raviver.
Autre moment, autre jour, impression d'herbes sur "Mobilé", de Michel Butor.
Lundi
Ne pas voir, ne pas avoir accès, est une question centrale. Pour Arnaud de la Cotte l'enjeu du lac est là, dans une approche qui ne peut se résoudre qu'artistiquement. Par l'imaginaire, la projection, la part du rêve.
Lac désir, celui qui apparaît et disparaît.
Lieu événement, quand sont ses limites ?11.08.2014
Autour du lac #6 7 8
/ En résidence avec l'association L'esprit du lieu, au lac de Grand-Lieu (44)
Carnet de résidence
Carnet de résidence
Récapitulons.
J'ai Monet : "Ce qu'il prend pour motif n'a pas de nom :
c'est un rapport instable du vert et du bleu, c'est l'extérieur,
c'est l'air qui passe entre les choses."(Marianne Alphant)
J'ai
Artémis, déesse des terres non cultivées, des territoires changeants.
J'ai
cette note en bas de page : reprendre tout en légèreté,
en petites touches, comme des feuilles d'arbres qui bougent.
Vendredi
Une petite lande de terre étroite dans les roselières, entre deux eaux, dans l'intervalle de soleil. Je baigne dans une odeur de menthe, me remplis de la beauté du lieu pour emporter quelque chose de ce qui quotidiennement n'est pas su, n'est pas vu.
L'instant d'après assise dans la voiture une forte pluie s'abat et quelque chose de moi est encore là-bas, inquiète et ravie, sous le couvert de l'arbre
Jeudi
Je trace au crayon sur la carte les chemins empruntés, mesure mieux ainsi l'écart entre la représentation et le réel : distance, environnement, point de vue. Tout l'enjeu ici étant de se rapprocher le plus possible du lac, trouver des points d'accès. Sur la carte c'est simple il y en a deux. Mais en bonne curieuse j'ai du mal à m'y cantonner.
De courts paragraphes s'ébauchent à partir de verbes qui ont à voir avec la localité, le lieu, marcher sur l'eau, revenir, tomber, attendre mais une chose est évidente, je dois ajouter tourner autour.
11.05.2014
Autour du lac #3 4 5
Mercredi
Dessiner les lignes moutonneuses des saules à l'horizon, ce qui paraît le plus facile et qui pourtant échappe. Sinon, tiges et feuilles dans l'eau, cette soupe végétale. Tout est à refaire 1000 fois. Quand au lac, l'eau vraiment, que tracer ? Il est une fois de plus cet insaisissable. Une réserve, en dessin, c'est un espace vide qui n'apparaît que par ce qui l'entoure. Le lac est (au moins) doublement réserve.
Mardi
Au milieu de l'eau libre une cage, des canards, piégés. Ils seront bagués. On se croirait sur une mer avant de piquer d'une perche le petit mètre de fond. On voudrait rester plus longtemps dans l'espace hors d'atteinte. Attendre le possible, quelque chose, avant de repartir.
Lundi
J'habite la Fuie, petite volière à pigeons. Les mots tourneront ici. N'avoir pour parole au-dehors que des gestes, des regards.
10.30.2014
"Marcher dans Londres en suivant le plan du Caire", entretien
/ un entretien autour du livre "Marcher dans Londres en suivant le plan du Caire", avec Delphine Japhet, pour l'émission Un Livre 2.0
10.27.2014
"Les yeux fermés, les yeux ouverts", quelques liens
/ Lecture à la librairie Le Marulaz, à Besançon, le samedi 11 octobre 2014
avec Fredérique Soumagnes, Fabrice Caravaca et Christophe Manon.
et le discours d'inauguration de Manuel Daull.
&
/ sur le site "Déboitements", de Christophe Grossi
10.22.2014
15 assembler longuement
Assembler
longuement les morceaux d’un tout, les espaces entre, telle distance à parcourir, une ouverture de
fenêtre, le bruit du vent avec celui des moteurs, la nuit et l’océan, l'écriture et le nouveau, l’inconnu, le changeant, y compris mon corps impatient.
10.10.2014
14 ciel de la baie
Ciel de la baie démultiplié, fantasque,
transportant cargaison de formes, d’arrangements, de consistances, sans compter
les oiseaux, leurs ailes phosphorescentes dans l’orage.
10.08.2014
10.07.2014
10.06.2014
10.02.2014
10.01.2014
9 fabrique de lignes
Fabrique de lignes. Chaque horizontale a sa propre vitesse, seconde, durée, temps géologique, tracés fins des franges successives de la mer. Marcher, un trait de plus.
9.29.2014
8 ne pas trop toucher
Ne pas trop toucher, je préfère, accepter le biais le travers, accompagner la pente naturelle.
9.25.2014
9.22.2014
6 chambres
Chambres
passées au blanc. On efface, on recommence, avec les traces des usures. Je
pense à Vermeer, à Morandi, à Alberto pour la poussière. Ça vient de loin, attraper la lumière.
9.19.2014
5 oiseaux de mer au-dessus
Oiseaux
de mer au-dessus de la maison, leurs corps comme des flèches pointées
vers l’océan et cette résolution dans le léger, l’aérien, brasse silencieuse qui fait taire nos paroles.
9.17.2014
4 rumeur
Rumeur
de mer dans l’obscurité du jardin, sans commencement ni fin, comme un train
qui passe.
3 enfermer le bourdon
Enfermer
le bourdon dans une cloche d’agapanthe pour plus tard. Réserver une table au
bord de l’eau. S’asseoir sur une pierre chaude. On fait des provisions comme
ça.
2 le ciel coupé
Le
ciel coupé en deux. Nous suivons la lumière du soleil descendant sur les choses
de la baie, admirables détours, glissements, rien qui se laisse saisir.
1 répétition, banalité
Répétition,
banalité, il y a du pesant et du léger, par petites touches. Chaque jour, une
précarité. Climat : perception du monde autour de soi, dilution de l'être.
9.08.2014
Marcher dans Londres en suivant le plan du Caire
"Marcher dans Londres en suivant le plan du Caire", est paru le 1er septembre aux éditions Publie.net, dans la collection L'Inadvertance.
Ecris dans une grande foulée de quelques mois, ce texte précédemment intitulé "Lignes de fuite" était une façon de tirer - à partir de mon point d'écriture, des grandes lignes : fuites, perspectives, directions - vers tel qui se déplace, est en mouvement - tel qui repousse des limites, fait trembler des contours. Ce furent Cy Twombly, Henri Maldiney, Fernand Deligny, Michel Foucault, entre autres. Des écrivains, des architectes, des plasticiens, dont je m'entourai afin qu'ils fassent pencher le texte, proposent de nouvelles pistes - tracks.
Pistes d'errances ou de voyages.
Récit en forme de pistes possibles.
Dérive où s'exprime un on, parfois un nous. Une communauté parlante. Un choeur qui se déplace, finit par constituer une ville à l'extérieur de la ville. Ou de l'intérieur, puisqu'on y oeuvre aussi par le milieu.
Ecriture en séquences, écarts - parlant d'île, d'eau, de tunnel, de constructions, de trajets - faisant de la digression, de l'éloignement, un centre justement.
C'est un texte qui ne veut pas se refermer sur lui-même, additionné de sortes de cartes, plans, tracés piochés sur le net.
Une ville qui se cherche.
On la voit qui vibre, qui palpite. Elle est faite de piétinements. D'allers et de retours. De constellations qui s'éloignent les unes des autres et se resserrent. Qui bougent. Elle hésite, se déplace, touche à tout.
François Rannou m'a proposé d'ajouter à cette publication bandes sonores et courtes vidéos, ce que j'ai fait avec plaisir, le texte incitant lui-même à ce type de mélange des genres.
Roxane Lecomte à donné forme à l'ensemble des médias et fabriqué ce beau livre numérique.
/ son article
/ un article sur ActuaLitté "Une ville-zone dont l'homme est le fluide"
/ une lecture de Jérémy Liron sur Les Pas Perdus
/ des extraits sur le blog Tentatives, de Christine Jeanney
Merci à eux pour cette belle collaboration.
/ un article sur ActuaLitté "Une ville-zone dont l'homme est le fluide"
/ une lecture de Jérémy Liron sur Les Pas Perdus
/ des extraits sur le blog Tentatives, de Christine Jeanney
7.12.2014
Verte, je
Entrer
dans le vert du jardin, très près. Jusqu'à ce que fleurs,
branches, tiges et ramures ne se distinguent plus de celles qu'elles avoisinent. Feuilles parasols pour la plante rampante, ombreuse,
l'espèce qu'elles recouvrent. Lianes mélangées aux branches des
fruitiers. Buissons, ne pas chercher le pied, la formation précise.
Perdre au passage les noms des roses anciennes. Des couvres-sols
dépareillés, perdre la composition, le mouvement d'ensemble, pour
retrouver l'esquisse. Plus proche de la nature d'une telle profusion,
d'un tel affolement, qu'on croyait maitriser. Entrer dans le vert du
jardin, découvrir une suite de lignes, non saisissables, et de
balancements. Souplesse des tiges, raideur des branches, leurs
façons de courbes ou d'ellipses, leurs cassures. Et puis chacune leur
retombée unique. Allant pour décrire les mouvements de l'air,
qu'elles subissent. Les sons que produisent les feuilles dans les
arbres derrière, en chuintement de consonnes.
Entrer dans le jardin comme dans un fruit,
se perdre, dans le mélange des verts : chlorophylle, de gris,
prairie, attendri, translucide, absinthe, sauge, poireau, opaline,
Véronèse, sapin. Les masses volubiles déchirées de grandes
lignes, fusant, obliques. Des tâches d'autres couleurs, claires ou
vives, pointillées, en virgules, en touches irrégulières et étoilées
d'insectes. Quelques noirceurs aussi pour ne pas oublier qu'on peut y enfoncer la tête. Cavités, ramper dans le jardin. Prise dans son
trouble, ses fluctuations. Vertige pour mes yeux
butineurs. Vertige tant il a l'air, à chaque regard, de se refaire.
Une réalité qui n'est pas aussi douteuse que moi-même, que mes
capacités fragiles, perceptions qui s'aiguisent un peu et puis
redeviennent séparées, lointaines. Dire est nécessaire pour
affiner le voir. Monter le voir à la conscience d'une chose : rien,
qui puisse se dénombrer, s'arrêter, se contenir. Rien, dans
l'infinité des formes, des lumières, des couleurs, qui soit
réductible à mon expression. Qui n'ait été mille fois
tenté.
Moi,
verte, dans l'antre du jardin, très près. Les moucherons dans mes
cheveux me font penser aux feuilles triangulaires des bouleaux qui
scintillent, en tournant d'un côté de l'autre.
Le bruissement des trois peupliers, dont la prise au vent produit un son qui enfle à chaque souffle, donne froid. J'essaie de me les représenter nécessaires, et il est vrai que leurs troncs devenus massifs font comme trois pattes d'éléphant, vénérables. Mais, trop hauts pour cet espace d'un demi hectare, et qui devraient plutôt bruisser pour les grandes plaines, les bords de lacs, de rivières, comme ces peupliers de Virginie, d'Amérique.
Le bruissement des trois peupliers, dont la prise au vent produit un son qui enfle à chaque souffle, donne froid. J'essaie de me les représenter nécessaires, et il est vrai que leurs troncs devenus massifs font comme trois pattes d'éléphant, vénérables. Mais, trop hauts pour cet espace d'un demi hectare, et qui devraient plutôt bruisser pour les grandes plaines, les bords de lacs, de rivières, comme ces peupliers de Virginie, d'Amérique.
Verte,
je, dans l'antre du jardin, très près.
Le
temps qu'il faut prendre pour voir. Les jours d'approche et de
piétinement. D'observation où je reste, incapable, sous la coupe
d'une durée. Patiente. À
attendre que le corps trouve un rythme, une échelle, une taille, un
accord enfin.
7.03.2014
Laissez-passer #7 - Juliette Mézenc
La première fois que j'ai été vieille, je ne me rappelle plus
parce que ça fait si longtemps, c'est si loin la première fois que j'ai été vieille
En même temps je me souviens très bien, comme si c’était hier, avec précision dans les sensations, avoir été vieille très souvent autour de mes 20 ans, je rajoutais moche à l'époque, vieille et moche, les deux marchaient ensemble, comme un couple
Alors la question de savoir quand on entre dans la vieillesse
La question de savoir s'il existe un seuil à partir duquel on devient vieux
?
Parce qu'à chaque fois je suis redevenue jeune, après avoir été vieille
Enfin jusqu'à présent les choses se sont passées ainsi
Je parle pas d'âge adulte parce que j'y ai jamais vraiment cru
J'ai jamais ressenti l'âge adulte
Si je me pose la question aujourd'hui ce n'est pas pour rien
Aujourd'hui j'ai 77 ans et, si j'en juge par le petit bandeau que l’on peut lire sur pas mal de jeux de société, j'ai passé l’âge de jouer
Faut croire que j'ai atteint un âge limite
De toute façon j’ai toujours détesté les jeux de société
J'ai des jeux bien plus intéressants avec Colin
Colin est un jeune retraité
J'aime les jeunes retraités, ils sont toujours plein d'allant, toute cette énergie libre, ou plutôt : libérée soudain
Lui, il était prof de mécanique, il aimait bien son boulot, sans plus, à ce qu'il m'a dit j’ai compris que ça lui occupait bien le ciboulot, tout de même, toujours un petit vélo à tourner dans la tête, surtout la nuit
et, je vous le donne en mille, qu’est-ce qu’il a fait dès son départ en retraite
Il s'est mis à fabriquer des vélos, des vrais, pas des dans-la-tête, des vélos faits pour avancer, mais pas les vélos qu'on trouve partout, non, des vélos sur mesure, avec un cadre adapté à la taille de la personne, des guidons rallongés façon Harley pour ne pas avoir à plier le dos, des porte-bagages assez larges pour y planter une tente, des selles adaptées aux fesses du propriétaire et j’en passe
Tous les jours on part sur la piste cyclable qui longe la plage et on joue à Easy rider
La dernière fois on s'est arrêtés pour regarder la mer, la nuit tombait au loin sur le mont Canigou, on était seuls au monde et on s'est mis à jouer aux chiens, à quatre pattes dans le sable un peu humide, on se poursuivait, on se coursait, on se mordait, on essayait de se renifler le cul et on levait la patte pour un oui pour un non, on a ri comme des tordus, bien obligés de s’arrêter, on roulait par terre en se tenant les côtes
et puis on reprenait
J'aurais jamais osé faire ça à 20 ans, j'étais bien trop sérieuse
On n'est pas sérieux quand on a 17 ans ?
Rimbaud n'a pas vieilli le pauvre, il pouvait pas savoir
Oui, j’ai été vieille bien souvent dans mes 20 ans mais la vieillesse ne s’installait pas à demeure, elle repartait aussi sec, sans que je comprenne comment le plus souvent
Maintenant la vieillesse s'invite un peu plus longtemps, mais entre temps j'ai appris des trucs pour que la jeunesse revienne, je l'aide un peu à revenir
C'est même devenu un jeu
Un terrain de jeu que ce passage à trouver
Il y a le sexe, c’est une évidence, un truc puissant
Lire aussi aide beaucoup, aussi
Je ne parle pas de ces livres qui te scotchent à l'histoire, vite la suite, de ces livres à suspense qui te lâchent plus et te maintiennent recroquevillée, crispée sur ta chaise, avec un châle sur le dos pendant des heures et des jours, là c'est l'arthrose assurée
Non je parle des vrais livres, ceux dont la lecture huile les articulations, chauffe la carcasse par frottements en dedans, et au bout d'un certain temps t'en peux plus de toute cette énergie accumulée, faut que t'en fasses quelque chose de ton corps retrouvé, faut que tu sortes, que tu ailles marcher pied nu dans le champ qui pique à côté, que tu réveilles celui qui dort à côté, que ta main glisse entre ses cuisses, faut que tu vives et c’est urgent
…
La vieillesse c'est quand la jeunesse ne revient plus j’imagine
…
Tu sais, j’ai plus le temps de remettre la vie à plus tard
parce que ça fait si longtemps, c'est si loin la première fois que j'ai été vieille
En même temps je me souviens très bien, comme si c’était hier, avec précision dans les sensations, avoir été vieille très souvent autour de mes 20 ans, je rajoutais moche à l'époque, vieille et moche, les deux marchaient ensemble, comme un couple
Alors la question de savoir quand on entre dans la vieillesse
La question de savoir s'il existe un seuil à partir duquel on devient vieux
?
Parce qu'à chaque fois je suis redevenue jeune, après avoir été vieille
Enfin jusqu'à présent les choses se sont passées ainsi
Je parle pas d'âge adulte parce que j'y ai jamais vraiment cru
J'ai jamais ressenti l'âge adulte
Si je me pose la question aujourd'hui ce n'est pas pour rien
Aujourd'hui j'ai 77 ans et, si j'en juge par le petit bandeau que l’on peut lire sur pas mal de jeux de société, j'ai passé l’âge de jouer
Faut croire que j'ai atteint un âge limite
De toute façon j’ai toujours détesté les jeux de société
J'ai des jeux bien plus intéressants avec Colin
Colin est un jeune retraité
J'aime les jeunes retraités, ils sont toujours plein d'allant, toute cette énergie libre, ou plutôt : libérée soudain
Lui, il était prof de mécanique, il aimait bien son boulot, sans plus, à ce qu'il m'a dit j’ai compris que ça lui occupait bien le ciboulot, tout de même, toujours un petit vélo à tourner dans la tête, surtout la nuit
et, je vous le donne en mille, qu’est-ce qu’il a fait dès son départ en retraite
Il s'est mis à fabriquer des vélos, des vrais, pas des dans-la-tête, des vélos faits pour avancer, mais pas les vélos qu'on trouve partout, non, des vélos sur mesure, avec un cadre adapté à la taille de la personne, des guidons rallongés façon Harley pour ne pas avoir à plier le dos, des porte-bagages assez larges pour y planter une tente, des selles adaptées aux fesses du propriétaire et j’en passe
Tous les jours on part sur la piste cyclable qui longe la plage et on joue à Easy rider
La dernière fois on s'est arrêtés pour regarder la mer, la nuit tombait au loin sur le mont Canigou, on était seuls au monde et on s'est mis à jouer aux chiens, à quatre pattes dans le sable un peu humide, on se poursuivait, on se coursait, on se mordait, on essayait de se renifler le cul et on levait la patte pour un oui pour un non, on a ri comme des tordus, bien obligés de s’arrêter, on roulait par terre en se tenant les côtes
et puis on reprenait
J'aurais jamais osé faire ça à 20 ans, j'étais bien trop sérieuse
On n'est pas sérieux quand on a 17 ans ?
Rimbaud n'a pas vieilli le pauvre, il pouvait pas savoir
Oui, j’ai été vieille bien souvent dans mes 20 ans mais la vieillesse ne s’installait pas à demeure, elle repartait aussi sec, sans que je comprenne comment le plus souvent
Maintenant la vieillesse s'invite un peu plus longtemps, mais entre temps j'ai appris des trucs pour que la jeunesse revienne, je l'aide un peu à revenir
C'est même devenu un jeu
Un terrain de jeu que ce passage à trouver
Il y a le sexe, c’est une évidence, un truc puissant
Lire aussi aide beaucoup, aussi
Je ne parle pas de ces livres qui te scotchent à l'histoire, vite la suite, de ces livres à suspense qui te lâchent plus et te maintiennent recroquevillée, crispée sur ta chaise, avec un châle sur le dos pendant des heures et des jours, là c'est l'arthrose assurée
Non je parle des vrais livres, ceux dont la lecture huile les articulations, chauffe la carcasse par frottements en dedans, et au bout d'un certain temps t'en peux plus de toute cette énergie accumulée, faut que t'en fasses quelque chose de ton corps retrouvé, faut que tu sortes, que tu ailles marcher pied nu dans le champ qui pique à côté, que tu réveilles celui qui dort à côté, que ta main glisse entre ses cuisses, faut que tu vives et c’est urgent
…
La vieillesse c'est quand la jeunesse ne revient plus j’imagine
…
Tu sais, j’ai plus le temps de remettre la vie à plus tard
Ce 7ème Laissez-passer, très beau, rapproche cette fois la question des frontières de celle de la vieillesse, l'approche de la fin d'une vie, de ce passage dont il est bien évident que nous ne pourrons jamais rien en dire, sauf à l'imaginer, puis tout taire. Ne pas se retourner. Vivre donc.
Tous les autres Laissez-passer sont sur le site de Juliette, Mots maquis.
Mon texte chez elle
Tiers Livre et Scriptopolis sont à l'initiative d'un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d'un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… "Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre". Un grand merci renouvelé à Brigitte Celerier qui assure le Rendez-vous des Vases. Et fait une longue lecture chez elle, sur Paumée.
Mon texte chez elle
Tiers Livre et Scriptopolis sont à l'initiative d'un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d'un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… "Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre". Un grand merci renouvelé à Brigitte Celerier qui assure le Rendez-vous des Vases. Et fait une longue lecture chez elle, sur Paumée.
6.17.2014
Le contraire d'errer
Et c'est tout de suite une petite phrase qui vous ramène en arrière.
"Ce poids, qui ramène en arrière", des "Yeux fermés, les yeux ouverts". On va s'arrêter sur ce qui ramène en arrière, même si c'est hors champ, hors sujet. Même si ça sort du cadre.
"Ce poids, qui ramène en arrière", des "Yeux fermés, les yeux ouverts". On va s'arrêter sur ce qui ramène en arrière, même si c'est hors champ, hors sujet. Même si ça sort du cadre.
Et c'est tout de suite un texte de Richard Serra, où il nomme ce, qu'en sculpteur, il sait du poids. Raconte ses souvenirs des chantiers navals où il assistait enfant avec son père aux mises à flot des navires. Masses énormes libérées, glissant sur des rails, basculant dans l'eau pour flotter enfin déchargées de toute lourdeur, trouver équilibre.
Je n'ai pas retrouvé le texte, lu des dizaines de fois.
Je n'ai pas retrouvé le texte, lu des dizaines de fois.
On va s'y arrêter quand-même. Prendre mesure de toutes les ramifications qu'un tel mot vous évoque. Laisser revenir des questions de sculptures.
"Le poids est pour moi une valeur, non qu’il soit plus contraignant que la légèreté, mais j’en sais seulement davantage sur le poids que sur la légèreté, et j’ai par conséquent plus à en dire", commençait Richard Serra.
Je pourrais quand à moi parler de manutention, transport, coût, stockage, responsabilité, charge, lourdeur. Poids provoquant peu à peu transition vers des formes d'expressions plus légères, plus virtuelles, plus fluides que la sculpture. Qui pourtant prenait corps dans l'espace et le lieu avec cette force frontale et concrète, qui me plaisait tant. Sans bavardage.
Le passage vers l'image.
Le passage vers le corps filmé, filmant.
"Le poids est pour moi une valeur, non qu’il soit plus contraignant que la légèreté, mais j’en sais seulement davantage sur le poids que sur la légèreté, et j’ai par conséquent plus à en dire", commençait Richard Serra.
Je pourrais quand à moi parler de manutention, transport, coût, stockage, responsabilité, charge, lourdeur. Poids provoquant peu à peu transition vers des formes d'expressions plus légères, plus virtuelles, plus fluides que la sculpture. Qui pourtant prenait corps dans l'espace et le lieu avec cette force frontale et concrète, qui me plaisait tant. Sans bavardage.
Le passage vers l'image.
Le passage vers le corps filmé, filmant.
Le passage vers l'écriture.
Tous sont liés à la question de l'allègement, de la diminution du poids.
À ce que l'on peut éprouver de mobilité dans le faire. À ce que l'on peut transporter avec soi.
Passage, d'un lieu à un autre, d'un état à un autre. Métamorphisme. Franchissement.
Passe-muraille, l'écriture.
Espérer n'être jamais arrêtée.
Tous sont liés à la question de l'allègement, de la diminution du poids.
À ce que l'on peut éprouver de mobilité dans le faire. À ce que l'on peut transporter avec soi.
Passage, d'un lieu à un autre, d'un état à un autre. Métamorphisme. Franchissement.
Passe-muraille, l'écriture.
Espérer n'être jamais arrêtée.
- On va s'arrêter aujourd'hui sur cette question du poids. Afin qu'elle pèse l'avant et l'après. Qu'elle mesure, ce qu'on en fait, de ce qui est derrière, de ce qui est devant. Voir apparaître l'idée de la frontière. C'est comme si je marchais, de long en large, passant et repassant devant.
À la relecture des "Petites Terres"— comme souvent quand on réouvre un livre, Michèle Desbordes vient apporter réponses. Ou écho.
"... bien certaine de m'y connaître en frontières, celles du dehors, celles du dedans et partout ailleurs où il peut s'en trouver, et puis il me paraissait qu'écrire c'était ça, roder, errer autour de ces lignes invisibles, ces endroits infiniment ténus où à chaque instant, chaque jour des milliers de fois la vie jouxte et côtoie la mort, une pluie, un pan de ciel, un silence soudain, et alors on se trouve à l'extrême lisière tantôt d'un côté tantôt de l'autre et c'est à peine si ça fait une différence."
Et, parlant d'Hölderlin, "il est celui qui erre, de toutes les façons qu'il y a d'errer, le wanderer qui n'a pas trouvé de frontières à passer, qui n'a pas où aller de l'avant, passer la frontière étant partir ou revenir, étant le contraire d'errer."
Il y a le poids des choses, de celles qui ramènent en arrière.
J'aspirais à ne plus avoir besoin de rien d'autre qu'écrire, à me sentir légère. Pour aller où ? Pour dire quoi des bordures, des lisières ? Je n'allais peut être pas de l'avant. J'allais de devant à derrière, basculant, m'enfonçant, flottant enfin. Cherchant à peine à passer une frontière.
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