1.24.2025

Chaque jour j’écris une "lettre-océan"

 

24 janvier 2025

Chaque jour j’écris une "lettre-océan". Cette suite de poèmes commencés il y a plusieurs années, pendant la période du confinement, a régulièrement été mise en retrait pour accueillir des projets d’écriture plus conséquents. En réalité je crois que la poésie pour moi c’est ce qui traverse le temps. Une façon d’échafauder un habitat — précaire, troué, à peine visible — qui doit pourtant nous abriter. La poésie doit tenir. Elle doit savoir marcher sur un fil pendant des années. Et si le monde change, elle doit continuer d’affiner sa tension, poursuivre son mouvement d’équilibre. Son inactualité me rassure. Tout de même, au bout du bout des pages j’ai écrit trois mots en italiques : nulle-part / flottement / adresse. Pour fixer l’idée d’une adresse par-delà un espace, une distance comme un océan, une absence de Terre. Poèmes pour s'ancrer ou pour "faire de ce flottement une stabilité", comme je l’écrivais dans Vers les terres vagues. Trois mots, comme un mémo. Je ne sais si ça aide.


1.07.2025

Je voudrais continuer de fréquenter la nuit de près

Janvier 2025

Je voudrais continuer de fréquenter la nuit de près. Dessiner dans le noir, restée plongée dans le temps du noir. Car le noir sur la feuille est d'abord la marque d'un temps multiplié, un temps qui fabrique, trait après trait, une autre image du dehors, un presque illisible, un inaperçu. Je voudrais rester liée aux nuits du dehors dans lesquelles m'a plongé le projet d’écriture. Deux années ont noué ce fil secret que j'espère ne pas trop distendre. Rester encore un peu là où je suis allée chercher, par l'écriture, des nuits anciennes, des nuits présentes, de possibles nuits futures. Tentant d'organiser cette décroissance de lumière avant de rassembler les pages et d'envoyer le texte, d'attendre. J'attends. Me priant de ne pas remplir ce vide, même s’il est déroutant, lancinant. Ne pas remplir ce vide, garder l’espace intact au-dedans. Pour cela, dessiner, car dessiner c'est tracer quelque chose depuis ce délaissement.



3.27.2024

Penser l'en cours, les chantiers ouverts


27 mars 2024
 
Penser l’en cours, les chantiers ouverts, ce qui travaille. Les Lignes mouvantes des centons permettent de faire advenir quelque chose qui m’appartient, mais comme par détournement d’une expression de soi dont par ailleurs je me désintéresse. Rapprochant plutôt l’écriture d'une appropriation de ce qui est autre, d'un détour, d'un mouvement vers l'extérieur. Mais également d’une certaine parole de l’inconscient ou peut-être d’un sous-conscient, quelque chose qui échappe et se transforme pour apparaître, brûlant comme cela serait, sinon (comme cela est en réalité) d’écrire. Dans le texte Recours à la nuit, c’est entre les paragraphes que cela se joue, par associations de sens, récurrences de motifs, sauts d’une forme dans une autre. La coupe et l’agencement permettent de faire des liens à distance, de produire des effets d'échos et de résonances. Récit par fragments non pas numérotés mais titrés. L’échafaudage sera délicat mais je crois pourtant avoir trouvé quelque chose dans lequel je me sens libre de dévider plusieurs fils à la fois. Le reste du temps je suis fatiguée, entre chaque déplacement, de me rassoir derrière un bureau, comme devant tout ce qui est “à faire”, et m'insurge. L'atelier n'est pas un bureau. Je déplace la table haute sous la fenêtre pour dessiner debout des petites pelotes noires, qui deviennent des champs entier, fragment de terre, qui deviennent des nuits, humeurs, nuées, cocons. Choses à emballer. Lignes à emmêler qui recouvrent je ne sais quelle noirceur plus profonde.

2.27.2024

Tout un mois de janvier


21 février 2024

Tout un mois de janvier à Dunkerque pour plonger dans l’écriture, dans la grande chambre d'écriture où la lumière glisse d’une fenêtre à l’autre, où nuit et jour, sommeil et rêves peuvent se mêler mieux, emplir le même volume. C'est une chambre comme une page. Elle m'engage dans le récit du jour quand il fuit et quand il revient, de ce qui se passe dans ces entre-temps comme de quelques rêves. celui-ci : nous visitons une grande maison circulaire en construction où seule une petite chambre est parfaitement finie, et précieuse. Je l'associe au texte en chantier. Ou encore celui-ci : je suis dans une grotte comme dans une cachette, tapie dans un repli étroit avec vue sur la campagne en contrebas. Rêves d’habitation, au sens plein d'habiter, c'est-à-dire de se laisser atteindre par ce qui nous entoure. En résidence, une part du travail consiste justement à cela, se laisser atteindre. Il me semble que c'est pour cette dé-familiarisation que je pars. Un dépaysement que j’exerce d’abord sur moi-même, devenant cette personne poreuse, un peu flottante, allégée du quotidien, lestée par un désir d’écriture. Puis les derniers soirs sont venus des rêves de portes battantes et de courants d’air. Franchissements moins agréables. Il était temps de rentrer. Je ne pouvais plus ajourner ce moment médical que je repoussais, à l'issue de l'examen duquel, dans la "salle de réveil consécutive à l'anesthésie générale, je me revois tapotant sur mes paupières, d’un index puis de l’autre, comme sur un clavier. et tandis qu'une voix me demande ce que je fais avec mes yeux, je m'entends répondre : j’écris, je prends des notes.


11.29.2023

Écrire pour penser ce qui se trame

 
29 novembre 2023

Écrire pour penser ce qui se trame. Croiser relier. Cette commande d’un texte sur les sols pour un projet de concert radiophonique, que je ne pouvais refuser, parce que le sol est un objet central de mon travail, que je nommais déjà Sols 1, Sol 2, Sol 3 mes sculptures aux Beaux-Arts, que dans la 1ère note de ce Journal très irrégulier, en 1999, j’évoquai le texte d’Edmond Husserl, L’Arche-terre ne se meut pas,  la question de la terre comme sol est posée sous le prisme de la phénoménologie, et parce que depuis je dessine entre autres des carottages et des éléments de géologie sur les pages du livre Pierres et terrain de Gaston Bonnier (1880). J’avance dans l'écriture de ce texte, "Sols 360°", en attendant une prochaine période de résidence au laboratoire d’archéologie du CNRS, à Rennes, j’avance en coupant mes journées en deux, matins chéris de l'écriture, du temps dilaté de l'écriture qu'il n’est jamais facile de quitter. Avec cette difficulté l'après-midi de passer d’une chose à une autre sans me sentir morcelée, dispersée ou même pétrifiée parfois par la multiplication des fragments. J’ai imaginé une stratégie qui consiste à penser que tout est un seul et même sujet. Un sujet certes mouvant et polymorphe. Animal monstrueux, exigeant, insatiable, qui se nourrit de tout. J’y inclus ma lecture du livre de David Abram, Comment la terre s’est tue (2013), et celle du Manuel de cartographies potentielles : Terra Forma, (F. Aït-Touati, A. Arènes et A. Grégoire) que j'ai réouvert et reste une mine d'inspiration.

11.07.2023

Ateliers à Carpentras


07 novembre 2023


Ateliers (avec Laurence D.) à Carpentras, pour mener des ateliers autour des "chemins coutumiers" dans un centre d’accueil de personnes isolées et en grande précarité. Des ateliers qui nous poussent dans nos retranchements, nous forçant à imaginer des solutions d'adaptation à des visites fluctuantes, à un travail dans l’immédiateté, à des difficultés à se poser pour écrire. Il faut que quelque chose à l'intérieur de chacun soit un peu posé, que le corps et l'esprit soient un peu au calme pour écrire. Aussi nous imaginons des formes de prises de notes et d'enregistrements vocaux dedans/dehors, collectes à transformer en récits à partager. Puis nous nous échappons une journée toutes les deux, pour souffler, dans le parc des Baronnies. Visite de l’exposition “La Nuit démesurée” et  plongée dans les nuits textuelles de Giono. 
"Ma sensibilité, écrit-il, dépouille la réalité quotidienne de tous ses masques ; et la voilà, telle qu'elle est : magique. Je suis un réaliste". J'aime le paradoxe et la qualité magique du réel me parait aujourd'hui très évidente. L'un des buts de l'escapade est une balade nocturne. Marche dans une nuit venteuse sur une route forestière, entre les masses nuageuses et l'odeur des pins, un vacarme d'automne. Dans la descente les cailloux roulent sous nos pieds. tandis qu'en même temps, une tempête de Toussaint frappait la pointe du Finistère. L'ampleur des dégâts dévastait quelques jardins et laissait plusieurs voisins dans le noir, nous faisant réfléchir, une fois de plus, à nos dépendances électriques.




9.19.2023

Ils semblent loin les kilomètres


19 septembre 2023


Ils semblent loin les kilomètres de routes dans les lumières d’Atacama. Je reprends mes notes sur les nuits d’observation des étoiles. Me plonge dans le 1er volume des poèmes de Gabriela Mistral, Essart, paru en 2021 aux éditions Unes (un deuxième tome, Pressoir, qui complète ce 1er vient juste de paraître). C’est une année de voyages en France qui se prépare, Carpentras, La Ciotat, Rennes, Nîmes et Dunkerque. Ici, le grand atelier est presque prêt, reste à construire le mobilier. Des rangements sous les combles et 2 bureaux dont un, mobile, pour travailler debout. J’avance lentement sur le Recours à la nuit. Quelques paragraphes, des rencontres, des lectures. L’organisation mentale d’un ensemble de choses à agencer en attendant des périodes plus propices à de grandes plages d’écriture. Les petits poèmes-trouvés m’accompagnent quotidiennement et j’ai été saisie, dans le mémoire d’Isabelle V., par cette idée d’une pratique “en adoption” (versus “en invention”) — le terme est de Joan Foncuberta dans son Manifeste pour une post-photographie (Actes Sud, 2022) — il valorise l’acte de recueillir, de faire siens les phrases et les images des autres, que l’on réagence et dont on fait sa propre matière. Le mot me frappe d’autant plus que ces centons, je les appelle des "poèmes-trouvés" en pensant aux enfants-trouvés. À travers cette question d'une écriture en adoption c’est toute une généalogie qui s’éclaire par laquelle j’hérite d’une certaine forme d’errance — comme stigmate invisible — qui rejaillirait dans mes écrits. Sergueï Eisenstein, lui, parle de “montage par attractions”. J'aime également ce terme d’attractions qui donne à penser que l’on n’adopte pas des phrases-rejetons, des phrases-boutures totalement par hasard, et que, si elles disent quelque chose de nous, elles ont également quelque chose à nous dire.