Deux lectures passionnantes qui me permettent de placer le FAIRE au centre de ma question.
Écrire implique des techniques, des mécanismes, des processus, propres et communs, des implications mentales et physiques.
Écrire implique des techniques, des mécanismes, des processus, propres et communs, des implications mentales et physiques.
Aussi il me semble juste et naturel d'aborder la théorie et la critique par cet angle.
Une philosophie de l'expérience, c'est que que propose John Dewey. Il définit l'expérience esthétique comme une expérience intense produite avec les matériaux du quotidien. L'œuvre est une matière informée par un processus, qui a son déroulement, non rectiligne, non linéaire, dans le temps. Lors de ce processus, qui associe à la fois action, réflexion et fabrication, l'auteur expérimente des facteurs de résistance, il doit affronter des conflits, nécessaires, pour construire une expérience cohérente sur le plan de la perception, et partageable dans une forme qui est l'objet artistique.
"C’est ce qu’il a préalablement fait qui permet à un artiste de savoir où il va", énonce John Dewey, plaçant sa réflexion du coté de cette recherche en acte, empirique, émotionnelle ("où l’organisme et l’environnement coopèrent"), "intuitionnée" ("ce quelque chose qui échappe, comme un monde au-delà du monde, et qui n’en est pas moins la réalité plus profonde du monde vécu, de nos expériences ordinaires.").
En outre Dewey nous offre de sublimes définitions,
« L’intuition est cette rencontre de l’ancien et du nouveau en laquelle le réajustement à l’œuvre dans toute espèce de prise de conscience s’opère instantanément sous forme d’une harmonisation rapide et intattendue qui, dans la lueur de sa soudaineté, agit comme l’éclair d’une révélation ; alors qu’il s’agit en fait de l’aboutissement d’une longue et lente incubation. »
« L’imagination désigne une qualité qui anime et pénètre toutes les phases de l’élaboration et de l’observation. Elle est une manière de voir et de sentir les choses en tant qu’elles constituent les parties intégrantes d’un tout. Elle est ce grand et généreux brassage d’intérêts situés à la frontière où l’esprit entre en contact avec le monde. Là où des choses anciennes et familières sont rajeunies dans l’expérience, là est l’imagination.
« L’intention est comme un fil qui court sous la séquence d’actes. Elle les convertit en une vraie série, en une ligne d’action avec un point de départ défini et un mouvement régulier jusqu’à un but. »
« L’intention est comme un fil qui court sous la séquence d’actes. Elle les convertit en une vraie série, en une ligne d’action avec un point de départ défini et un mouvement régulier jusqu’à un but. »
Cette lecture contribue à orienter ma question, du Déplacement-comme-sujet (ou thème), vers l'idée de Déplacement-comme-processus, ou mode opératoire de l'écriture elle-même. Ce qui ouvre de nouvelles fenêtres de lecture des récits de voyage et de ses beaux avatars, tous récits de déplacements, poétiques, expérimentaux, etc.
C'est bien l'auteur qui se déplace.
J'ai écrit l'année dernière, dans le mémoire, au sujet de la posture d'inconfort. Cette position éprouvée ou recherchée, qui dans l'écriture se confronte au monde extérieur, à un "en-dehors". De se poser dans un rapport immédiat au lieu, à l'expérience que l'on en fait. Ainsi, Philippe Vasset arpentant les friches, a cette phrase, qui semble évoquer l'écriture : "Explorant mes terrains vagues, zones vouées à la pure potentialité, lieux de l'inconfort extrême où rien ni personne n'a de place assignée » ("Un Livre blanc").
Cette posture d'inconfort, Marianne Alphant l'a très bien saisie. Dans la très belle biographie de Claude Monet, "Monet, une vie dans le paysage" (que je cite depuis plusieurs années), elle montre les tentatives du peintre pour atteindre quoi, une adhérence ? entre la réalité
et lui-même. Elle parle de la position de Monet, "pas un peintre en vérité, mais un chasseur", "à la fois dans les éléments, exposé à eux, et les dominant, sur une lisière étroite où tout
est à la fois proche et lointain, difficile et possible".
Recherche d'immersion et désir d'expression. Cette posture d'inconfort a à voir avec la confrontation à l'altérité - elle participe à ce titre d'une écriture des voyages et des déplacements - comme avec une exigence éthique : corps et esprit ne peuvent pas/ne doivent pas s'alanguir.
Cette posture d'inconfort, Claude Favre aussi m'en parle. Elle dit: écrire debout, parfois sur une jambe (jamais couchée, ni assise). Je pense : pour rester vigilante, aller à l'essentiel, au dur. Ci-dessous un extrait de ses "Déplacements", tiens, justement (paru dans la revue PLI 6).
C'est remettre le corps devant.
Le corps devant.
Cette image toujours devant moi, sur le bureau, sous mes yeux, m'amène à évoquer le livre de Paul ARDENNE, "Un art Contextuel" où le corps de l'artiste est impliqué, mettant à nouveau en avant une approche phénoménologique.
L'art contextuel est un art d'intervention, un art participatif, investissant l'espace urbain ou le paysage. Un développement qui valorise le processus et tente de s’immerger dans "l’ordre des choses concrètes".
C'est la requalification d'une "mise en vue" classique, qui passe par l'effet de présence plutôt que par la représentation.
Des artistes comme Richard LONG, Hamish FULTON, Gabriel OROZCO, Francis ALYS, le groupe STALKER ou même Simon STARLING m'intéressent particulièrement, en ce qu'ils utilisent leur corps comme véhicule, à travers la pratique de la marche, de la performance, ou comme ré-appropriation de l'espace, ou encore jouent de l'ultra-mobilité pour relier actions et évènements et créer des enchaînements de sens.
Il va de soi que la littérature renfermera toujours son propre espace, même si le texte a déjà débordé le livre - notamment par les espaces numériques : blog, site, écriture-avec-l'image, écriture-vidéo, récit-web... Cette "inscription mobile personnelle dans le réel" comme l'énonce François BON dans son article, "Qu'est ce que le web change à l'auteur ?".
Il est intéressant de penser "littérature contextuelle", à la manière de Paul ARDENNE. C'est à dire, une littérature qui aurait pour procédé l'arpentage, l'observation, la ponction... Qui chercherait des passages entre le texte et le réel, et inversement. Une écriture qui inclurait des déplacements, des rencontres, une prise en compte du corps social... "une dynamique du dehors qui rejaillit sur le caractère de l'œuvre"(Ardenne). Où il apparaît déjà que le regard porté a une dimension aussi géographique et politique que poétique, dans tous les cas transdisciplinaire (comme trans-gression de la discipline, débordement, déplacement).
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