10.04.2013

Charlotte / Voie sans issue - Olivier Hodasava


Adam est photographe – artiste photographe. Il s’est fait une petite réputation dans le milieu de l’art contemporain avec ses séries sur l’Amérique, façon Becher, sauf que lui travaille en couleur. Il est représenté par des galeristes aussi bien à New York qu’à Londres ou Paris. Ses séries les plus connues sont construites autour de photos de châteaux d’eau ou de bancs publics. Depuis deux ans, il ne photographie plus que des voies sans issues, des panneaux Dead End. Il tient, évidemment, tout un discours là-dessus. Pour faire simple : les Etats-Unis sont dans une impasse, la société de consommation, la finance, le capitalisme ne mènent nulle part. Les voies sans issues sont des symboles.


Je l’ai croisé une première fois à Pittsburgh. Nous avons sympathisé. Et depuis, nous sommes régulièrement en contact.
Je le retrouve à Charlotte pour boire un verre. Par jeu, il m’a donné rendez-vous au VBGB, un hall à bière situé juste à côté du Fillmore (une salle de spectacle). Le VBGB, au cœur de la nuit, doit accueillir je ne sais combien de centaines de personnes. Mais il est quinze heures et l’établissement, vraiment gigantesque, est vide si ce n’est une famille – le père, la mère et deux grands adolescents collés aux écrans de leurs téléphones.


Nous commandons des cafés. Adam propose que nous nous installions dehors même s’il ne fait pas très chaud.
À peine sommes-nous assis qu’il commence à bruiner. Et bizarrement, c’est plutôt agréable. Adam explique : Charlotte est une ville géniale. Je crois que je n’ai jamais vu autant de voies sans issues qu’ici. Ça fait trois semaines que je suis arrivé et j’ai l’impression de n’avoir encore exploré qu’un dixième du territoire. Mais ce qui me scotche, surtout, c’est qu’il y a beaucoup de verdure, des parcs. Et avec la crise, évidemment, l’entretien laisse à désirer. Du coup, la végétation, dans la plupart des cas, a commencé à dévorer les bordures, les panneaux, les marquages. Ça donne un côté irréel… Les rues semblent se désagréger, se dissoudre dans la nature. C’est émouvant, vraiment. Pour l’instant, je n’ai vu ça nulle part ailleurs – je veux dire à ce point. Mais tu vas t’en rendre compte par toi-même.



























Pour me convaincre, une fois notre café bu, il m’emmène faire un tour.
Nous visitons des impasses qui portent des noms d’avenues : Bacon Avenue, Lima Avenue… À chaque fois (à chaque voie), Adam a une histoire à raconter. 
Là, au-delà des broussailles, serpente un chemin qui mène à un asile désaffecté. Les armoires n’ont pas été vidées de leurs dossiers médicaux…
Ici, une fille a failli être violée mais un voisin qui rentrait du boulot a vu la scène. Il a tiré sur l’agresseur. Il l’a tué.
Adam tient aussi, absolument, à me montrer West 9th Street. Un joyau selon ses critères car, à hauteur des voies ferrées qu’elle traverse, la rue est marquée de deux voies sans issues, une de chaque côté, matérialisées par des glissières surmontées des fameux carrés rouges inclinés à 45°. Sur un des carrés, côté sud, quelqu’un a graphité : FUCK AMERICA.


Pour ce vase d'octobre je suis très fière de poster un voyage d'Olivier Hodasava. Et quel voyage ! Celui-ci — Charlotte, Caroline du Nord — est un avant-goût d'une grande virée américaine qui prendra la forme d'un livre futur, "Eclats d'Amérique".
De Charlotte donc, je me souviens du photographe obnubilé par les panneaux Dead End, cette impression de n’avoir encore exploré qu’un dixième du territoire, et les rues qui semblaient se désagréger.
Puis j'ai filé à Vicksburg, Mississippi, et je ne suis pas loin de tirer les mêmes conclusions sur la labilité des routes, des villes, du territoire.

Tout le reste des pérégrinations d'Olivier à suivre, presque au jour le jour, sur Dreamlands, carnet de voyage virtuel. C'est dire s'il devait un jour croiser celui des départs.


/ mon texte chez lui.



Tiers Livre et Scriptopolis sont à l'initiative d'un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d'un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… "Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre".Un grand merci renouvelé à Brigitte Celerier qui assure le Rendez-vous des Vases. Et fait une longue et belle lecture chez elle, sur Paumée.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire