1.02.2014

Ciel pour regarder, marcher - Brigitte Celerier




















Sortir et installer mes yeux dans le ciel


Sortir pour marchécrire, yeux flottant au risque de vertige, éblouis, cherchant les mots pour dire cette dure lumière, cette splendeur sévère, cette unité plate

Marcher sous ce ciel, renoncer, jouir un instant de cette violence et plisser les yeux, penser avec admiration dévotieuse aux efforts de Ponge, à ses tâtonnements pour dire, dans la Mounine, ce ciel qui l'avait frappé dans un matin sur la route d'Aix, et dont j'aime ce qui est presque le premier jet

Azur à mine de plomb

ce gaz lourd résulte en vase clos

d'une explosion de pétales de violettes bleue

.…..

Son ombre tient toute dans les griffes de son éclat...



Et comme j'avance, en cet hiver, lasse et les yeux blessés, dans le froid intense que le vent nous a laissé en legs avec cette pureté sans concession, comme si avec les nuages et l'humidité il avait emporté toute trace de tiédeur, pour nous laisser dans un vide froidement lumineux, monte la nostalgie des cieux transparents du printemps sur Paris, du soleil humide étincelant sur la pointe de la cité quand je marquais l'arrêt rituel dans l'angle du pont Royal, avant de remonter vers les guichets, qui me faisait presque voir l'air circuler entre les statues de Maillol, mesurer la distance entre les arbres et pierres blanches des Tuileries, creuser le long espace que les siècles ont dessiné.

Finit mon trajet – rentrer se rencogner dans l'antre, laisser la nuit descendre sans en voir la rougeur


Autre jour, s'éveiller à la recherche encore des mots pour dire le ciel de bleu ardent, lapi-lazuli, fabrique d'outremer, clarté autoritaire, air devenu pierre, poussière qui prend feu, violence et os à nu... et penser approximation dérivant en préciosité artificielle

Pousser volets dans un bruit tumultueux de souffles, voir branches se balancer, écharpes noires filer sur les couches de gris sombre, penser mistral noir, trembler d'avance de fatigue et d'effroi, et toutes idées envolées dans ce déchaînement de l'air, s'accrocher à cette seule pensée : que vienne la fin, sans plus savoir laquelle.


Note = la seconde image est une reproduction d'un tableau de Giuseppe Canella conservée au Musée Carnavalet

Très heureuse d'accueillir Brigitte Celerier pour les Vases Communicants de janvier. Ce sont les dérives avignonnaises de Brigitte, sur son blog, qui ont inspiré l'idée du Marchécrire, avec pour projet : sortir, et regarder - dans lequel elle excelle et qui me fut bel exercice. Elle "installe ses yeux dans le ciel", ici, sur le Carnet des Départs, tandis que "je ne sais où regarder".

Mon texte, chez elle, sur Paumée.

Tiers Livre et Scriptopolis sont à l'initiative d'un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d'un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… "Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre". Un grand merci renouvelé à Brigitte Celerier qui assure le Rendez-vous des Vases. Et fait une longue lecture chez elle, sur Paumée.




Oiseaux




Oiseaux (attente d'oiseaux). Des routes dures, des directions. Entailles d'eau et de bitume. Course avec bagages sur un ponton. Fracas encore. Démarrage des moteurs. Diminution progressive de la terre, expir _

Oiseaux (cri d'oiseaux) arrivée sur l'île. 
Le bleu sans cesse aux fenêtres. Roc, vague, roc, marée. 
Nos allers nos retours, nos lits en travers des goémons. Galets superposés. Plages sèches

Oiseaux (débordement d'oiseaux)
Marches arrondies, longues lectures, temps entouré d'eau

Chute des baromètres 


Oiseaux (silhouettes d'oiseaux figurants)

Ressassement des vagues, ressassement des rocs. Encore cri de vent, messe de mer, encore l'air bleuté. La nuit allongée sur le jour, encore.







12.10.2013

Des lectures,

article Remue.net 





La résidence à Cerise touche à sa fin : il est temps de s’éloigner du centre, de quitter ce ventre de Paris ou, peut-être, simplement, de le déplacer... Pour cela, Anne Savelli invite Virginie Gautier et Joachim Séné à lire (mais aussi projeter, écrire) des extraits de leurs derniers textes encore inédits, respectivement intitulés Lignes de fuite et Village. On y retrouvera de la rue, de la route, du déplacement...

Cette soirée sera également l’occasion de faire la connaissance de Dita Kepler, avatar d’Anne Savelli sur Second Life devenu, au fil du temps, un personnage collectif (elle fut animée, ici-même, par Joachim Séné durant l’année : tout se tient !).
Pour introduire les lectures, on suivra ainsi les instructions d’une des Dita Kepler existantes, à savoir Thierry Beinstingel (autre invité de la résidence), lequel a suggéré la chose suivante : 

que Dita Kepler sur son compte twitter demande auparavant à ce qu’on lui envoie 13 poèmes twitts en 13 mots à 13h13 ce vendredi 13 pour entrer avec elle dans une nouvelle dimension, celle du 13/13/13

Virginie Gautier, Joachim Séné et Anne Savelli liront donc, en préambule, treize poèmes écrits par ceux qui auront bien voulu participer ce jour-là (et ce, même sans être abonnés à Twitter. Il suffit en effet que les treize mots comptent 140 caractères maximum). La soirée se terminera par une apparition de Dita Kepler (lecture d’Anne Savelli, écriture improvisée d’un nouveau texte par Joachim Séné).
Bref, il y aura des mots, des sons, de l’image, du monde, des voix et des métamorphoses.


Vendredi 13 décembre 2013 (le 13/13/13) 
à 20h au Café Reflets, 46 rue Montorgueil à Paris

(photo : boat car plane, tirée de la base de données du magazine Life)
Anne Savelli - 9 décembre 2013

11.01.2013

On n’en sort pas - Jean Prod'hom

















On n’en sort pas, le réel est hors d’atteinte, inutile de vouloir trop s’en approcher. Ni espérer pouvoir s’en extraire. Être bien accompagné et accompagner, c’est ce qu’on peut faire de mieux. 

Lorsqu’il fait soleil et que la neige demeure sur les flancs de Brenleire et Folliéran, je fais halte dans la véranda où trois chaises entourent une table ronde, y suis à cette occasion pas loin de moi-même. Ce compagnonnage dure une petite heure et c’est bon. On se réconcilie, on parle un peu, en ne bougeant les lèvres qu’à peine, tandis qu’une guêpe ou un bourdon s’acharne contre la vitre. Celui qui est en moi lâche un peu de sa surveillance, je veille de mon côté à ne pas m’enflammer à son insu, on se modère. Il me tance une dernière fois, pour rire, avant de laisser la bride sur mon cou. On s’abandonne les mains croisées, le dedans et le dehors se serrent la main.

Aucune ombre, les écharpes d’inquiétude qui s’accrochaient à mes talons traînent sur le carrelage de la cuisine et l’hiver qui s’est levé cette nuit fait son oeuvre sur les sommets enneigés. Me voici coupé du dedans et à l’abri du dehors, désorienté, sans rien à faire d’autre que tendre l’oreille et fermer les yeux, comme les paysans d’hier qui prenaient un peu de bon temps sous le couvert de la mécanique à l’arrivée des mauvais jours : les champs étaient labourés, les pommes de terre rentrées, la bise pas encore levée. 

Les lauriers sont à l’abri, des feuilles multicolores jonchent la plate-bande, l’orange des roses jauni d’or. Le soleil entre à l'horizontale, pas de travail en vue, il y a bien assez à faire tous les deux réunis. Faire se rapprocher nos deux voix de soi-même jusqu’à ce qu’elles ne s’étonnent plus l’une de l’autre, se confondent. Silence. Il n’y a en réalité pas grand chose, un phrasé ponctué de simples, je devine une danse immobile et transparente. Pas surpris de ma présence. Si nous ne nous perdons pas de temps en temps l’un dans l’autre, nous sommes perdus.

Derrière les vitres piquées par le mauvais temps, les événements qui se succédaient au pas de charge s’enlisent. On reste tous les deux en arrière avec un panier de pommes cueillies tout à l’heure, une tèche de bois, une jardinière. Il y a vraiment de belles prisons. Le silence descend l’échelle et nous soulève, le peu que je suis encore se défait et devient toujours moins, jusqu’à disparaître, vide et sans horloge. Ne pas bouger, le moindre geste détruirait tout.

Peut-on dire autre chose que ce qu'on sait obscurément. Écrire dépasse de beaucoup ce qu'on est, sans qu'on soit capable jamais de mettre la main dessus. Mais il nous tire, rend meilleur, purifie ce qui reste en retrait, nous aide à trouver l’invisible axe de notre être au monde. 

De là où tu es, vois-tu ce dont je te parle, de ce détour à l'occasion duquel on se perd au plus lointain de ce qui est, de cet asile que je caresse parfois du bout des doigts, à deux pas d’une mélancolie qu’il me faut bien concéder au moment de quitter les lieux. Mais rejoindre le train du monde ne constitue plus une défaite.

Nous vivons dans une boîte transparente où rien n’entre ni ne sort, mais où chaque chose fleurit, lentement, chacune pour soi au midi des autres. On n’en sort pas et j’y retournerai.


Faire une place aujourd'hui, dans le Carnet, pour Jean Prod'hom. S'y posera un petit bout de montagne et dans son écriture cette belle présence des choses, du réel, cette épaisseur d'homme. Et je ne fais qu'évoquer mon plaisir à le lire, et mon admiration, pour ne pas alourdir la sobriété rare de son écriture. Pour preuve ces propres mots : "Je m’efforce maintenant de préserver, et c’est l’essentiel, l’étendue de ce que je ne saurais dire autrement, c’est-à-dire le silence sans lequel on n’entend rien, d’élaguer ce qui encombre, avec le risque qu’il ne reste plus grand chose à la fin." 
Pour cet échange, je me suis inspirée d'une de ses phrases : le réel est hors d'atteinte.
Tout est à lire sur son blog les Marges, des "plans fixes", des "choses vues", "cher Pierre", "à la mine", "il y a", et "avec Thierry Metz" que j'aime particulièrement. 

/ Mon texte chez lui,

Tiers Livre et Scriptopolis sont à l'initiative d'un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d'un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… "Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre". Un grand merci renouvelé à Brigitte Celerier qui assure le Rendez-vous des Vases. Et fait une longue et belle lecture chez elle, sur Paumée.

10.04.2013

Charlotte / Voie sans issue - Olivier Hodasava


Adam est photographe – artiste photographe. Il s’est fait une petite réputation dans le milieu de l’art contemporain avec ses séries sur l’Amérique, façon Becher, sauf que lui travaille en couleur. Il est représenté par des galeristes aussi bien à New York qu’à Londres ou Paris. Ses séries les plus connues sont construites autour de photos de châteaux d’eau ou de bancs publics. Depuis deux ans, il ne photographie plus que des voies sans issues, des panneaux Dead End. Il tient, évidemment, tout un discours là-dessus. Pour faire simple : les Etats-Unis sont dans une impasse, la société de consommation, la finance, le capitalisme ne mènent nulle part. Les voies sans issues sont des symboles.


Je l’ai croisé une première fois à Pittsburgh. Nous avons sympathisé. Et depuis, nous sommes régulièrement en contact.
Je le retrouve à Charlotte pour boire un verre. Par jeu, il m’a donné rendez-vous au VBGB, un hall à bière situé juste à côté du Fillmore (une salle de spectacle). Le VBGB, au cœur de la nuit, doit accueillir je ne sais combien de centaines de personnes. Mais il est quinze heures et l’établissement, vraiment gigantesque, est vide si ce n’est une famille – le père, la mère et deux grands adolescents collés aux écrans de leurs téléphones.


Nous commandons des cafés. Adam propose que nous nous installions dehors même s’il ne fait pas très chaud.
À peine sommes-nous assis qu’il commence à bruiner. Et bizarrement, c’est plutôt agréable. Adam explique : Charlotte est une ville géniale. Je crois que je n’ai jamais vu autant de voies sans issues qu’ici. Ça fait trois semaines que je suis arrivé et j’ai l’impression de n’avoir encore exploré qu’un dixième du territoire. Mais ce qui me scotche, surtout, c’est qu’il y a beaucoup de verdure, des parcs. Et avec la crise, évidemment, l’entretien laisse à désirer. Du coup, la végétation, dans la plupart des cas, a commencé à dévorer les bordures, les panneaux, les marquages. Ça donne un côté irréel… Les rues semblent se désagréger, se dissoudre dans la nature. C’est émouvant, vraiment. Pour l’instant, je n’ai vu ça nulle part ailleurs – je veux dire à ce point. Mais tu vas t’en rendre compte par toi-même.



























Pour me convaincre, une fois notre café bu, il m’emmène faire un tour.
Nous visitons des impasses qui portent des noms d’avenues : Bacon Avenue, Lima Avenue… À chaque fois (à chaque voie), Adam a une histoire à raconter. 
Là, au-delà des broussailles, serpente un chemin qui mène à un asile désaffecté. Les armoires n’ont pas été vidées de leurs dossiers médicaux…
Ici, une fille a failli être violée mais un voisin qui rentrait du boulot a vu la scène. Il a tiré sur l’agresseur. Il l’a tué.
Adam tient aussi, absolument, à me montrer West 9th Street. Un joyau selon ses critères car, à hauteur des voies ferrées qu’elle traverse, la rue est marquée de deux voies sans issues, une de chaque côté, matérialisées par des glissières surmontées des fameux carrés rouges inclinés à 45°. Sur un des carrés, côté sud, quelqu’un a graphité : FUCK AMERICA.


Pour ce vase d'octobre je suis très fière de poster un voyage d'Olivier Hodasava. Et quel voyage ! Celui-ci — Charlotte, Caroline du Nord — est un avant-goût d'une grande virée américaine qui prendra la forme d'un livre futur, "Eclats d'Amérique".
De Charlotte donc, je me souviens du photographe obnubilé par les panneaux Dead End, cette impression de n’avoir encore exploré qu’un dixième du territoire, et les rues qui semblaient se désagréger.
Puis j'ai filé à Vicksburg, Mississippi, et je ne suis pas loin de tirer les mêmes conclusions sur la labilité des routes, des villes, du territoire.

Tout le reste des pérégrinations d'Olivier à suivre, presque au jour le jour, sur Dreamlands, carnet de voyage virtuel. C'est dire s'il devait un jour croiser celui des départs.


/ mon texte chez lui.



Tiers Livre et Scriptopolis sont à l'initiative d'un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d'un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… "Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre".Un grand merci renouvelé à Brigitte Celerier qui assure le Rendez-vous des Vases. Et fait une longue et belle lecture chez elle, sur Paumée.

9.16.2013

Aujourd'hui j'ai fini d'écrire les Lignes de fuite
























Marcher dans Londres en suivant le plan du Caire, de Lagos.

Marcher, c’est broder le passé sur l’avenir. Une traversée où les lieux et les souvenirs se superposent.

Cette ville, elle a des frontières visibles : des mers, des chaînes de montagnes, des murs bardés de miradors. Et des frontières invisibles.
On fait un pas de plus pour voir jusqu'où on n’a pas le droit d'avancer. 

« La juge aux avocats : quand ils ont un visa séjour d'un an, ils peuvent voyager dans l'espace Schengen ? Je n'entends pas la réponse. »*



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*Marie Cosnay, "Entre chagrin et néant", éd.Cadex

(13ème extrait du texte "Lignes de fuite")

9.04.2013

On y oeuvre par le milieu

©Andrew Moore



Nous la voulons comme une ruine. 
Avec des fers à béton qui pointent encore le ciel ― propositions inadéquates mais répétées d'étages dans les nuages. Avec des morceaux de terrains arides, des murs décorés de fissures en étoiles, en fuseaux. Avec des zones broussailleuses où nul ne peut s'aventurer. Avec des zones dangereuses. Nous la voulons comme une ruine, revenue d'une bataille. Ayant appris à laisser libre cours aux fleuves, sans illusion mais pleine, envahie. 

Après s'être lentement vidée de sa substance, de ville d'hommes au travail, ayant fomenté ensemble par elle leur projet d'évasion, préparé des fuites, des tentatives, des détours. Ayant laissé échapper l'idée même de victoire, ou d'arrivée. Laissé venir telle chose à la fin dans le jour sans raison.

Après s'être lentement vidée de sa substance, de ville économique.
Rust belt, sa ceinture de rouille encercle les terrains en jachères où Grace, Linda, Shea, Malik retournent la terre, préparent les semis. 
Il faut de la patience. 
C'est une question de temps.

Une ville temps sans raison. 

On y œuvre par le milieu.






image : ©Andrew Moore, "Model T Headquarters, Detroit, Michigan, 2009", photograph, 2009.