3.27.2024

Penser l'en cours, les chantiers ouverts


Mercredi 27 mars 2024
 
Penser l’en cours, les chantiers ouverts, ce qui travaille. Les Lignes mouvantes des centons permettent de faire advenir quelque chose qui m’appartient, mais comme par détournement d’une expression de soi dont par ailleurs je me désintéresse. Rapprochant plutôt l’écriture d'une appropriation de ce qui est autre, d'un détour, d'un mouvement vers l'extérieur. Mais également d’une certaine parole de l’inconscient ou peut-être d’un sous-conscient, quelque chose qui échappe et se transforme pour apparaître, brûlant comme cela serait, sinon (comme cela est en réalité) d’écrire. Dans le texte Recours à la nuit, c’est entre les paragraphes que cela se joue, par associations de sens, récurrences de motifs, sauts d’une forme dans une autre. La coupe et l’agencement permettent de faire des liens à distance, de produire des effets d'échos et de résonances. Récit par fragments non pas numérotés (quoique) mais titrés. L’échafaudage sera délicat mais je crois pourtant avoir trouvé quelque chose dans lequel je me sens libre de dévider plusieurs fils à la fois. Fatigue, entre chaque déplacement, de se rassoir derrière un bureau. Tout ce qui est “à faire”. Je m'insurge : l'atelier n'est pas un bureau. Je déplace la table haute sous la fenêtre pour dessiner debout des petites pelotes noires. Humeurs, nuées, cocons. Choses à emballer. Lignes à emmêler dont je ne sais ce qu'elles dévideraient.

2.27.2024

Tout un mois de janvier


21 février 2024

Tout un mois de janvier à Dunkerque pour plonger dans l’écriture. Dans la grande chambre-bureau la lumière glisse d’une fenêtre à l’autre, nuit et jour, sommeil et rêves emplissent le même volume. C'est une page. Elle m'engage dans le récit de quelques rêves. Par exemple, nous visitons une grande maison circulaire en construction où Seule une toute petite chambre est parfaitement finie. Ou encore, je suis dans une grotte comme dans une cachette, tapie dans un repli étroit, vue sur la campagne en contrebas. Rêves d’habitation, au sens plein d'habiter, en se laissant atteindre par ce qui nous entoure. En résidence, une part du travail consiste justement à se laisser atteindre. Il me semble que c'est pour cette dé-familiarisation que je pars. Dépaysement que j’exerce d’abord sur moi-même. Devenant cette personne poreuse, un peu flottante, allégée du quotidien, lestée par un désir d’écriture. Les derniers soirs sont venus des rêves de portes battantes et de courants d’air. Franchissements moins agréables. Il était temps de rentrer. Je ne pouvais plus ajourner ce moment médical que je repoussais. À l'issue d’un examen nécessitant une anesthésie générale, dans ce qu’on appelle la salle de réveil de l’hôpital, je me revois tapotant sur mes paupières, d’un index puis de l’autre, comme sur un clavier. Une voix me demande ce que je fais avec mes yeux et je m'entends répondre, j’écris, je prends des notes.


11.29.2023

Écrire pour penser ce qui se trame

 
29 novembre 2023

Écrire pour penser ce qui se trame. Croiser relier. Cette commande d’un texte sur les sols pour un projet de concert radiophonique que je ne pouvais refuser. Parce que je nommais déjà Sols 1, Sol 2, Sol 3 mes sculptures aux Beaux-Arts. Dans la 1ère note de ce Journal très irrégulier, 1999, j’évoque le texte d’Edmond Husserl, L’Arche-terre ne se meut pas.  la question de la terre comme sol est posée sous le prisme de la phénoménologie. Parce que je dessine des carottages et des éléments de géologie sur les pages du livre Pierres et terrain de Gaston Bonnier (1880). J’avance dans ce texte en attendant une prochaine période de résidence au laboratoire d’archéologie du CNRS à Rennes. J’avance en coupant mes journées en deux. Matins chéris de l'écriture, du temps dilaté de l'écriture qu'il n’est jamais facile de quitter. Difficulté de passer d’une chose à une autre sans me sentir morcelée, dispersée — pétrifiée parfois par la multiplication des fragments. Aussi, j’ai imaginé une stratégie qui consiste à penser que tout est un seul et même sujet. Un sujet certes curieux, mouvant et polymorphe. Animal insatiable, qui se nourrit de tout. J’y inclus ma lecture du livre de David Abram, Comment la terre s’est tue (2013), et celle du Manuel de cartographies potentielles : Terra Forma, (F. Aït-Touati, A. Arènes et A. Grégoire) que j'ai réouvert et qui est une mine d'inspiration pour le projet de recherche-action, "Territoires communs" dans le Finistère.

11.07.2023

Résidence à Carpentras


07 novembre 2023


Résidence avec Laurence D., à Carpentras, pour mener des ateliers autour des "chemins coutumiers" dans un centre d’accueil qui héberge des personnes isolées et en grande précarité qui nous poussent dans nos retranchements. Les gens nous forcent à imaginer des solutions d'adaptation à des visites fluctuantes, à un travail dans l’immédiateté, à leurs difficultés à se poser pour écrire. Je réalise qu'il faut que quelque chose en nous soit un tant soit peu posé, pour écrire. Nous imaginons des formes de prises de notes et d'enregistrements vocaux, dedans/dehors, collectes à transformer en récits à partager. Puis nous nous échappons une journée dans le parc des Baronnies. Visite de l’exposition “La Nuit démesurée” et  plongée dans les nuits textuelles de Giono. "Ma sensibilité, écrit-il, dépouille la réalité quotidienne de tous ses masques ; et la voilà, telle qu'elle est : magique. Je suis un réaliste". J'aime le paradoxe. La qualité magique du réel me parait aujourd'hui très évidente. L'un des buts de l'escapade est une balade nocturne. Marche dans une nuit venteuse sur une route forestière. De la lune n'apparait que le halo entre les masses nuageuses. Les rafales dans les arbres portent l'odeur des pins, nous en avons plein les narines. Dans la descente les cailloux roulent sous les pieds. Un certain vacarme d'automne. Quelques jours avant mon retour, une tempête de Toussaint frappait la pointe du Finistère. L'ampleur des dégâts laissait plusieurs voisins dans le noir et nous faisait une fois de plus réfléchir à nos dépendances électriques.




9.19.2023

Ils semblent loin les kilomètres


19 septembre 2023


Ils semblent loin les kilomètres de routes dans les lumières d’Atacama. Je reprends mes notes sur les nuits d’observation des étoiles. Me plonge dans le 1er volume des poèmes de Gabriela Mistral, Essart, paru en 2021 aux éditions Unes (un deuxième tome, Pressoir, qui complète ce 1er vient juste de paraître). C’est une année de voyages en France qui se prépare, Carpentras, La Ciotat, Rennes, Nîmes et Dunkerque. Ici, le grand atelier est presque prêt, reste à construire le mobilier. Des rangements sous les combles et 2 bureaux dont un, mobile, pour travailler debout. J’avance lentement sur le Recours à la nuit. Quelques paragraphes, des rencontres, des lectures. L’organisation mentale d’un ensemble de choses à agencer en attendant des périodes plus propices à de grandes plages d’écriture. Les petits poèmes-trouvés m’accompagnent quotidiennement et j’ai été saisie, dans le mémoire d’Isabelle V., par cette idée d’une pratique “en adoption” (versus “en invention”) — le terme est de Joan Foncuberta dans son Manifeste pour une post-photographie (Actes Sud, 2022) — il valorise l’acte de recueillir, de faire siens les phrases et les images des autres, que l’on réagence et dont on fait sa propre matière. Le mot me frappe d’autant plus que ces centons, je les appelle des "poèmes-trouvés" en pensant aux enfants-trouvés. À travers cette question d'une écriture en adoption c’est toute une généalogie qui s’éclaire par laquelle j’hérite d’une certaine forme d’errance — comme stigmate invisible — qui rejaillirait dans mes écrits. Sergueï Eisenstein, lui, parle de “montage par attractions”. J'aime également ce terme d’attractions qui donne à penser que l’on n’adopte pas des phrases-rejetons, des phrases-boutures totalement par hasard, et que, si elles disent quelque chose de nous, elles ont également quelque chose à nous dire.



9.04.2023

En montant dans la vallée de l'Elqui

 
14 juillet 2023 — Vallée de l'Elqui, Norte Chico, Chile

En montant dans la vallée de l'Elqui, c'est comme si nous avions changé de saison, l'été est revenu, le vent est chaud à Vicuña, village de naissance de la poète Gabriela Mistral. Dans le musée qui lui est dédié je découvre, à travers ses poèmes, son rapport très physique aux paysages de son enfance, quelque chose d'à la fois rustique et mystique. Je prends en note quelques lignes de ce qui m'apparait comme un poème adressé à la terre et un fragment adressé au ciel, ci-dessous. Bientôt nous irons dans les collines observer le ciel nocturne, et dans cette région semi-désertique du Norte Chico peut-être apercevrons-nous un pan de "cet espace peuplé de mondes, non d'étincelles" qu'a fréquenté Gabriela quand elle s'appelait encore Lucila. 

Amo una piedra de Oaxaca
o Guatemala, a que me acerco,
roja y fija comme mi cara
y cuya grieta da un aliento

Al dormirme queda desnuda;
no sé por qué yo la volteo.
Y tal vez nunca la he tenido
y es mi sepulcro lo que veo... [Cosas]

J'aime une pierre de Oaxaca
ou de Guatemala, de laquelle je m'approche
rouge et fixe comme mon visage
et dont la fissure apporte un souffle

Quand je m'endors elle reste nue ;
je ne sais pas pourquoi je la retourne.
Et peut-être que je ne l'ai jamais tenue
que c'est ma tombe que je vois

Yo le mostraría el cielo del
astrónomo, no el del teólogo ;
le haría conocer ese espacio
poblado de mundos, no poblado
de centellos ; le mostraría todos
los secretos de esas alturas. [La instrucción de la mujer]

Je vous montrerai le ciel de
l'astronome, pas celui du théologien ;
je vous ferai connaître cet espace
peuplé de mondes, non pas peuplé
de scintillements ; je vous montrerai tous
les secrets de ces altitudes.



7.31.2023

Visiter le Museo de los artes precolombiano

 
12 juillet 2023 - Santiago, Chile

Visiter le "Museo de los artes precolombiano" pour sentir, par les traces des peuples qui l'ont habité, à travers les objets rituels, artistiques et usuels qu'ils ont laissé, ce territoire long de 4000 kilomètres, coincé entre montagnes et océan, pacifique, chaîne de volcans, déserts et Cordillère. Ces objets, qui associent usages et significations, et dont l'essentiel nous échappe, sont des figures parfois mi-humaines mi-animales, où terre et mer sont représentées (entrelacées sous forme d'un crocodile et d'un serpent), où écriture est aussi dessin, est aussi tissage, un art de liaisons et d'associations d'une beauté incroyable, des chapeaux tissés à oreilles, des étoiles en pierres taillées, des sculptures de groupes de danseurs ou de chamanes assis, fumants, des femmes enceintes associées à des coupes, des pots, des vases, des personnages-objets, et, ce qui ressemble à de très petites poupées, des momies d'enfants à peine nés avec sur le visage un masque d'argile peint. Je me demande si ces couleurs et ces matières, ces formes et ces objets issus d'autres temps et d'autres relations au monde, résonnent encore d'une manière ou d'une autre dans ce pays longiligne, à la fois océanique, désertique et montagneux. J'aime à penser que nous les sentirons peut-être, ces milles formes, sur la route, dans les montagnes, à la tombée de la nuit — tout comme nous gardons en bouche le goût des baies de Maqui qu'un chilien Mapuche nous a fait gouter, sur le cerro Santa Lucia, dans l'après-midi.